Les Coquillettes
France, 2012
De Sophie Letourneur
Scénario : Sophie Letourneur
Avec : Camille Genaud, Carole Le Page, Sophie Letourneur
Photo : Antoine Parouty
Durée : 1h15
Sortie : 20/03/2013
Le cinéma, ce n'est pas toujours tapis rouge et petits fours. Parfois, c'est seulement "Coquillettes" ! Trois "nouilles" en mal d'amour partent en virée dans un festival en Suisse : Sophie, midinette, est obsédée par le seul acteur connu du festival, Camille, romantique, rêve d'un histoire d'amour impossible et Carole, pragmatique, a juste "envie de baiser".
GIRLS GONE WILD
Dès le générique de début, fluo et pétaradant, un détail ne trompe pas. Ce qui est mis en avant n’est ni le nom des actrices ni des images du film mais les dialogues, mi-néon mi-texto, qui viennent défiler et s’afficher en géant. La vraie star du film, ce sont eux. Ce qui différencie peut-être en premier lieu le travail de Sophie Letourneur du tout-venant en matière de comédie, c’est en effet la place centrale donné au discours. La création d’un va-et-vient entre la gentille vacuité du quotidien et l’omniprésence d’un dialogue permanent comme une musique. Letourneur a en effet bien intégré la double leçon des films de Rohmer ou Hong Sang-Soo (cinéastes auxquels on la compare souvent, avec raison). Tout d’abord que le dialogue peut être considéré comme la première action cinématographique (filmer un personnage qui dit qu’il va faire quelque chose peut être tout aussi fort que filmer cette action), et donc qu’un dialogue a priori anodin ou trivial peut avoir un impact et une profondeur non-négligeable. Deuxièmement, que c’est le décalage entre ce que les personnages disent et font qui créent toute leur richesse, que ce décalage soit humoristique ou émouvant. Ici, comme chez les réalisateurs cités, il parvient à être souvent les deux à la fois.
Letourneur n’a pas peur de l’artificialité, poussée ici jusqu’à avoir réenregistré les dialogues en post-synchro pour les remonter avec un très léger décalage, leur donnant une dissonance farfelue et maline. Les trois héroïnes des Coquillettes se racontent une histoire (leurs souvenirs d’une virée commune en festival), mais elles pourraient tout aussi bien « se raconter des histoires ». Et c’est justement sur cette nuance que se joue le meilleur du film. Letourneur filme à part égale ses héroïnes en train de ressasser leur souvenir autour d’un verre et les vrais éléments festivaliers en flash-back. Car ce n’est pas tant ce qui est arrivé qui lui importe, mais comment la parole peut transformer les événements, en révéler la part fantasmée en les faisant passer par le prisme d’une logorrhée amusée, ivre et un peu paumée.
Mais s’attacher à cet enthousiasmant travail théorique serait n’apprécier qu’une partie seulement des Coquillettes, et peut-être passer à coté de l’essentiel : Les Coquillettes est avant tout une comédie décomplexée. Le portrait d’une amitié féminine larguée et névrosée, faisant écho à cette génération de films récents revendiquant un humour féminin cru tout en retournant les schémas habituels. Le fait que l’enjeu principal de cette histoire soit de savoir si ces filles-là vont réussir à baiser est particulièrement rafraichissant (ça parait trivial ? Pouvez-vous compter le nombre de comédies où la question est la même pour un protagoniste male ?). Ici les mecs sont lâches, relous ou absents, mais les filles ne valent pas forcément mieux, et sont pots de colle, girouettes ou grandes gueules. Letourneur brouille les pistes avec ses airs ultra réalistes : chaque héroïne porte son propre prénom, de nombreux acteurs (dont Sophie elle même, qui ne s’épargne pas) jouent leur propre rôle, le film a été tourné en plein festival de Locarno, vécu ici de l’intérieur… Mais si tout cela a souvent l’air improvisé et bricolé sur le feu (le film pourrait d’ailleurs gagner encore plus en rythme), on en revient encore à ce travail d’écriture qui lui donne justement toute sa fluidité. Il n’y a pas de mystère.