Le Loup de Wall Street
Wolf of Wall Street (The)
États-Unis, 2013
De Martin Scorsese
Scénario : Terence Winter
Avec : Leonardo DiCaprio, Jonah Hill, Matthew McConaughey
Photo : Rodrigo Prieto
Musique : Howard Shore
Durée : 2h59
Sortie : 25/12/2013
L’argent. Le pouvoir. Les femmes. La drogue. Les tentations étaient là, à portée de main, et les autorités n’avaient aucune prise. Aux yeux de Jordan et de sa meute, la modestie était devenue complètement inutile. Trop n’était jamais assez…
I ALWAYS WANTED TO BE A STOCKBROKER
Si le crime organisé présentera toujours quelque chose de suffisamment séduisant pour que le sujet paraisse intarissable en dépit des innombrables films ayant visité cet univers, on ne saurait en dire autant du monde de la bourse, qui compte déjà son film-phare, Wall Street (ainsi que sa suite, sorte d'état des lieux 20 ans après). La solution proposée par Martin Scorsese - et Terence Winter, scénariste sur Les Sopranos et créateur de Boardwalk Empire - semble être de lui appliquer le traitement du genre dans lequel ils brillent. Le projet ne payait pas forcément de mine sur le papier mais l'annonce de sa durée ne trompa pas : après deux films plutôt décevants, le cinéaste revenait nous livrer un de ses films-fleuves, à la Casino. Cependant, si cette plongée épique dans le milieu de la finance s'apparente à un Les Affranchis version courtier, c'est à la fois la réussite et le problème du film.
A l'instar de son prédécesseur, Le Loup de Wall Street est donc un récit narrant le rise and fall d'un jeune loup aux cheveux noirs et aux yeux bleus, venu d'origines modestes pour intégrer un milieu qui n'est pas ouvert à tous, qui permet de se faire de l'argent facilement et de manière bien peu éthique, entraînant forcément la débauche - sex and drugs and rock'n'roll scorsesien avec sa tracklist qui prend six pages du dossier de presse - et l'inéluctable couperet de la loi. Ray Liotta a cédé la place au nouveau Robert De Niro de l'auteur, un Leonardo toujours aussi DiCaprio mais encore plus énervé et fou que jamais, dans un film de trois heures qui passent comme une balle ou presque. L'auto-indulgence pointe le bout de son nez durant certaines séquences amusantes mais dispensables, ou du moins amputables de quelques minutes. Par moments, on croirait à une production Apatow tant ça sent l'improvisation de jeunes gens insolents (McConaughey vole la vedette en 5 minutes, Jonah Hill est méconnaissable). Cela dit, ces excès participent au projet du film, ce "Caligula des temps modernes" comme le définit l'acteur principal, étalant l'indécence dans toute son opulence, l'avalanche de blanche n'ayant d'égale que celle des blanches qui déambulent nues de tous les coins du cadre dans un plan sur deux.
LA DERNIÈRE TENTATION DE MARTIN
La forme ne se refuse rien non plus, ayant recours à tous les effets disponibles, du ralenti outrancier sous Quaaludes à l'accéléré coké en passant par ces séquences d'infomercial insérées ça et là et la typique voix off du protagoniste qui vient même parfois s'adresser directement à la caméra. Autant de variations d'une imagerie publicitaire qui n'hésite pas à nous vendre, comme une comédie qui plus est, l'horrible décadence du monde de la bourse, lui-même caractérisé par ses vendeurs sans scrupules, ses vendeurs de vent. Malgré la légèreté de l'ensemble, Le Loup de Wall Street ne vend pas du vent. De par sa parenté avec Les Affranchis dont il reprend la grammaire, l'approche du metteur en scène est déjà une condamnation des dérives - tout aussi criminelles - des courtiers, qui ont donc remplacé les gangsters de jadis. Son point de vue semble toutefois un peu moins moralisateur qu'à l'accoutumée. Il suffit de voir le tout premier long métrage de Scorsese, Who's That Knocking At My Door, pour cerner le bonhomme, partagé entre sa bonne conscience catholique et le péché, qu'il prenne la forme d'une femme, d'une substance ou de la violence, cette fascination pour les gangsters qu'il ne peut s'empêcher de punir. Ici, il en viendrait presque à les dédouaner, le temps d'un regard dans le métro ou d'un plan sur une assistance crédule. Le ver restera à jamais dans le fruit, tout comme le rat survivait à la fin de Les Infiltrés.
Comme Steven Spielberg, Martin Scorsese est de ces réalisateurs qui, alors qu'ils ont passé la soixantaine, témoignent de la même énergie, et si le bonhomme (et sa fidèle monteuse Thelma Schoonmaker) n'a rien perdu de son talent, Le Loup de Wall Street sent un peu la redite. On revisite fréquemment les mêmes étapes vues dans les précédents chefs-d’œuvre de l'auteur - la femme, les femmes, le pote dangereux, le deal foireux, etc. - et la surprise n'est plus vraiment au rendez-vous. Aussi imparfaits Shutter Island et Hugo Cabret fussent-ils, ils avaient le mérite d'être des genres que le cinéaste n'avait pas abordés dans sa carrière. Le Loup de Wall Street est plus réussi, plus abouti, mais c'est le genre de film que Scorsese peut tourner les yeux fermés.
Et pour ne rien louper de nos news, dossiers, critiques et entretiens, rejoignez-nous sur Facebook et Twitter !