Le Cercle
Kreis (Der)
Suisse, 2014
De Stefan Haupt
Durée : 1h42
Sortie : 04/03/2015
Zurich, 1958. Ernst et Röbi se rencontrent par l’intermédiaire du Cercle, une organisation suisse clandestine, pionnière de l’émancipation homosexuelle. Alors que les deux hommes luttent pour leur amour, ils vivent l’apogée et la déclin du Club, éditeur d’une revue homosexuelle trilingue, la seule alors autorisée dans le monde.
CERCLE VERTUEUX
Le Cercle, ce fut d’abord le nom d’un magazine et d’un club underground, fondés au début des années 40 à Zurich. A cette époque, la ville suisse est alors considérée comme une Mecque gay. Une oasis qui, si l’on se réunit toujours incognito dans des locaux discrets, donne la sensation de bénéficier du côté cosmopolite de New York. Neutre et surtout dépourvue du célèbre paragraphe 175 qui criminalisait l’homosexualité masculine en Allemagne, Zurich est alors la capitale homo de l’Europe centrale et du monde germanophone (qui s’en rappelle aujourd’hui ?), appelant chaque semaine des touristes esthètes venus profiter d’un weekend de liberté. Mais même en Suisse, difficile d’échapper à la montée de la haine en Europe, et une série de meurtres homophobes va bizarrement placer la communauté et le club en position non de pas de victimes, mais de menace. Le cercle du titre est alors autant une ronde dansante, celle des bals excentriques organisés par les fondateurs du magazine, qu’une cible qui se dessine et se resserre autour de ses membres.
Mais Le Cercle, c’est avant tout un curieux objet de cinéma, qui mélange documentaire et fiction d’une manière bien particulière, montant en parallèle interviews des protagonistes vieillissants et reconstitution en costume des scènes-clés de cette histoire. Ces fictions, majoritaires en nombre et durée dans le film, s’attardent en particulier sur l’amour naissant entre Ernst, timide professeur dans le placard, et la drag-queen Röbi. Or ces scènes surprennent par leur aspect légèrement désuet et décalé: les reconstitutions y sont nimbées d’une étrangeté paisible, toujours sur la frontière avec l’artifice tranquillement assumé, comme dans certains films de Manoel de Oliveira. Comme si déjà, le film essayait de nous mettre sur la piste : ce passé n’est pas que le passé, ne l’enterrons pas sous une couche de poussière - il n’est peut-être pas si révolu que ça.
Car enfin, le cercle c’est aussi le cercle vicieux de l’histoire qui se répète. Cette ambiance plus ou moins permissive qui se retrouve progressivement assombrie par la menace d’un retour à l’ordre moral rappelle à plus d’un titre (et toutes proportions gardées)… la France de 2014. Si les scènes de fiction du film paraissaient décalées, que dire alors de la partie documentaire, qui semble nous parler non pas du passé, mais bel et bien de notre situation présente ? Stefan Haupt (lire notre entretien) parle du révolu pour documenter le présent, où le documentaire ne ressemble finalement donc pas un documentaire historique, et où la fiction ne ressemble pas non plus à une fiction classique. Le Cercle est un drôle de film, singulier et touchant, qui donne surtout un sens de la communauté particulièrement émouvant. De quoi justifier pleinement son Teddy Award du documentaire à la Berlinale 2014.