Last Night in Soho

Last Night in Soho
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Last Night in Soho
Royaume-Uni, 2021
De Edgar Wright
Scénario : Krysty Wilson-Cairns, Edgar Wright
Avec : Thomasin McKenzie, Anya Taylor-Joy
Photo : Chung-hoon Chung
Musique : Steven Price
Durée : 1h56
Sortie : 27/10/2021
Note FilmDeCulte : *****-
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LAST NIGHT IN SOHO met en scène l’histoire d’une jeune femme passionnée de mode et de design qui parvient mystérieusement à retourner dans les années 60 où elle rencontre une éblouissante jeune chanteuse. Mais le Londres des années 60 n’est pas ce qu’il parait, et le temps semble se désagréger entrainant de sombres répercussions.

ONCE UPON A TIME...IN LONDON

Nombreux sont les genres abordés par Edgar Wright dans sa filmographie encore relativement courte, du film de zombies au film de braquage en passant par le buddy movie et la science-fiction, sans oublier l'inclassable Scott Pilgrim, mais jamais il n'avait approché un sujet autrement que par le truchement de la comédie. Son nouvel opus est à nouveau un mélange des genres mais la comédie n'est pas l'un d'eux. Si le film n'est pas exempt de quelques pointes d'humour, l'horreur qui le traverse se fait douloureusement réelle et ce malgré le vernis du giallo. Le cinéaste a beau sortir de sa zone de confort, Last Night in Soho n'en est pas moins une œuvre marquée au néon rouge des obsessions de son auteur. Un thriller pop, improbable rencontre entre Minuit à Paris de Woody Allen et Ne te retourne pas de Nicolas Roeg, épousant les tourments psychosexuels de son héroïne par le prisme d'un genre qui pervertit la nostalgie, aussi toxique que la masculinité.

En introduction de Scott Pilgrim, lorsque le groupe de rock du héros se mettait à jouer, la caméra captant la session se mettait à reculer et les murs de la pièce à s'allonger de façon surnaturelle, comme pour adopter le point de vue de la jeune fille enamourée de Scott, ado impressionnée par le "talent" de son mec. Dans Last Night in Soho, c'est un effet de style similaire, dans les draps de la jeune protagoniste cette fois, qui annonce la transition vers le passé. Vers le rêve? L'hallucination? Par l'entremise de ce simple mouvement et trucage, Wright créé, littéralement, un espace de cinéma. Chez Wright, la façon dont le fantastique s'invite dans le quotidien s'apparente clairement à l'intrusion du cinéma (ou du jeu vidéo pour Scott Pilgrim) dans la réalité. Dans Shaun of the Dead, les morts-vivants parasitent une intrigue de romcom et de passage à l'âge adulte plus qu'ils ne dictent à l'histoire son genre. Dans Hot Fuzz, la vie d'une bourgade paisible imite l'art de Point Break et Bad Boys II. Dans Last Night in Soho, les néons à la Argento interviennent comme un métronome entamant la séquence de transition. La marque de fabrique d'un certain genre de film devient le marqueur diégétique du basculement vers ledit genre. Eloise n'est pas tant plongée dans un souvenir ou un cauchemar que dans un film. Un giallo dont elle est malgré elle l'héroïne.

Dans un premier temps, après une exposition qui force un peu le trait mais de façon amusante, le metteur en scène parvient à nous faire ressentir le vertige vécu par la jeune ingénue (Thomasin McKenzie, petite souris touchante), notamment lors de sa première excursion dans le Londres des Swinging Sixties, par le biais de mouvements proprement enivrants, encerclant cette Alice qui découvre le pays des merveilles avant de danser sur un rythme endiablé avec elle et son double, Sandie (Anya Taylor-Joy, parfaite en simili-BB passant d'icône à humaine). Elle descend des marches le long de miroirs multiples qui lui donnent autant de reflets que cette aventure a de couches pour elle. Mais ça, elle l'ignore encore... La lettre d'amour à cette époque révolue est sincère. L'histoire de la ville est omniprésente dans la culture qu'elle a engendré, sa musique, ses films, et Wright offre à son alter ego de fiction, fan comme lui, l'opportunité de vivre cette histoire mais un retour dans le temps implique un retour à une réalité bien moins glamour, faite de mâles concupiscents. Wright et sa co-scénariste Krysty Wilson-Cairns (Penny Dreadful, 1917) ont la bonne idée de lier la nostalgie de l'héroïne pour une période qu'elle n'a pas vécu à son incapacité de se défaire de son passé traumatique et transforment par conséquent son expérience en une double métaphore, à la fois de la nécessité de vivre au présent, comme pour Gary King dans Le Dernier pub avant la fin du monde, mais également de la perte de l'innocence, de l'éveil (et de la peur) de la sexualité. Si Eloise est hantée par des visions spectrales, la véritable horreur réside ailleurs, dans ce que ces fantômes sans yeux ni bouche symbolisent : le visage anonyme de la prédation.

En ayant recours à excellente illustration de la logique de rêve, faisant d'Eloise tantôt l'actrice, tantôt la spectatrice des événements, le film raconte l'histoire d'une sororité et d'une filiation tragique, le trauma se répercutant à travers le temps, invitant son héroïne non plus à simplement "passer au travers du miroir" mais à briser cet écran (plafond?) de verre pour exorciser ses démons. Dans la deuxième moitié du film, même si Wright assume la nature grossière de son récit, le cheminement se fait un peu rudimentaire mais la fin, légèrement subversive vis-à-vis du "Méchant", emporte le morceau. Le passé ne doit pas se substituer au présent, il doit l'informer, le nourrir, l'inspirer artistiquement comme c'est le cas pour Eloise, élève en école de stylisme. Ou pour Edgar Wright.

par Robert Hospyan

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