L'année cinéma 2013 de Danielle Chou

L'année cinéma 2013 de Danielle Chou

2013 appartient aux formalistes battant la mesure, aux personnages en verve - chanteurs, baratineurs, prêcheur en cravate ou gourou en dreadlocks -, aux prestidigitateurs de l'espace et aux maîtres de la voltige. Du tempo et du souffle, de l'outrance, du gigantisme. Connus pour leur débit de mitraillette et leur érudition musicale, Quentin Tarantino et Martin Scorsese ont été les plus féroces et les plus flamboyants. Django Unchained et Le Loup de Wall Street n'ont pas seulement pour points communs Leonardo DiCaprio et Jonah Hill, ils vont au bout de leur barbarie et de leur véhémence. Tarantino réinterprète l'Histoire pour mieux dénoncer l'esclavage et tout faire sauter sur son passage (à commencer par sa personne). Mais c'est l'auguste Scorsese (71 ans) qui se révèle le plus enragé des deux. Amoral, vulgaire, lubrique et nauséabond, son loup ne montre pas la plus petite compassion envers ses victimes, invisibles à l'écran. Cocaïné jusqu'à l'os, Mark Hanna (Matthew McConaughey) est le mentor dépravé qui enseigne à Jordan Belfort (DiCaprio) les fondamentaux du métier et martèle le rythme à suivre. 23 ans après Les Affranchis, la situation se serait-elle empirée ?

  • L'année cinéma 2013 de Danielle Chou
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C'est à l'autre bout du monde, en Chine, qu'on déniche les laissés-pour-compte de cette indécente prospérité. Divisé en quatre faits divers sanglants, entre western et bestiaire fantastique, A Touch of Sin montre la résistance isolée d'individus broyés par les loups. S'il ne devait rester qu'une seule réplique tragi-comique à la fin de l'année, ce serait celle d'un personnage de Jia Zhang-Ke : "Je te tue avec mon fric !" Formule qui sied fort bien au Loup de Wall Street. C'est encore la musique (viscérale, intime ou commerciale) qui réunit Steven Soderbergh, Harmony Korine et les frères Coen. Le portrait "émail diamant" du pianiste gay virtuose, jouisseur impénitent, roi des médias (Ma vie avec Liberace) se heurte à celui du guitariste blême aux poches trouées, malchanceux et condamné à l'errance (Inside Llewyn Davis). Téléportés dans un enfer de néons multicolores, les fluo kids en bikini de Spring Breakers vivent au grand jour le fantasme d'une chanson pop désabusée. Harmony Korine scande son récit de paroles crédules, de citations frivoles et de bruits de gâchette, à la manière d'un morceau fétiche tournant en boucle. Gloire vieillissante, artiste sous terre, étudiantes bercées d'illusions : les rêveurs de Soderbergh, Korine et les Coen courent, chacun à leur manière, après les mirages de la vie.

Modèles d'efficacité narrative, projets totalement fous et atypiques, Gravity et Pacific Rim présentent le plus bel équilibre entre blockbuster grand public et signature d'auteur. Alfonso Cuaron impose une héroïne dans un rôle prévu pour un homme, file la métaphore de la maternité (le film est dédié à sa mère) : le fœtus, le cordon ombilical, le liquide amniotique, la renaissance sont autant de motifs projetant le spectateur dans un ventre virtuel, un impressionnant cocon en 3D, où Sandra Bullock se recroqueville sur elle-même tel un nouveau-né. Ultimate geek par excellence, Guillermo Del Toro concrétise un rêve d'enfant et laisse exprimer toute la démesure de son talent. Que peut-on faire avec un robot et un monstre entre les mains ? A peu près tout. Plus fort, plus inventif, plus vertigineux, mais aussi plus raffiné que la concurrence, Pacific Rim tient ses promesses de saccage interplanétaire et rend le plus bel hommage qui soit à ses référents japonais, de Godzilla à Gamera, de Tetsujin 28 gô à Patlabor.

Une année où Wong Kar-wai et Terrence Malick lèvent le voile sur leurs dernières expérimentations ne peut pas être totalement mauvaise. Voir leurs films n'est jamais une expérience anodine. Décriés pour leur montage aléatoire, leur absence de cohésion et/ou leur manque d'originalité, The Grandmaster et A la merveille n'en restent pas moins deux déflagrations esthétiques, dont les ellipses et les correspondances poétiques ne cessent d'éblouir. Ni Wong ni Malick ne se soucient plus des rouages du récit ; ils préfèrent creuser d'autres voies narratives. Un film est un champ infini de possibles et aucun des deux ne se résout à une unique porte d'entrée. La structure importe moins que les détails infinitésimaux, l'émotion furtive d'un instant, la caresse d'une lumière, la gestuelle d'un acteur. Rien n'est gravé dans le marbre, le tournage est une géométrie variable (ainsi disparaissent les acteurs du montage). Leur singulière méthode de travail, qui s'est radicalisée au fil des ans, continue d'intriguer et de sidérer. Tant qu'elle créé des visions sublimes et puissantes, nulle raison de s'en plaindre.

MON TOP

1. Django Unchained, Quentin Tarantino
2. Le Loup de Wall Street, Martin Scorsese
3. Gravity, Alfonso Cuaron
4. The Grandmaster, Wong Kar-wai
5. Spring Breakers, Harmony Korine
6. Inside Llewyn Davis, Joel & Ethan Coen
7. Ma Vie avec Liberace, Steven Soderbergh
8. Pacific Rim, Guillermo Del Toro
9. A la merveille, Terrence Malick
10. A Touch of Sin, Jia Zhang-ke

COUP DE CŒUR : L'HOMME QUI VALAIT TROIS MILLIARDS

Le hasard de la distribution fait parfois bien les choses. En une année, Leonardo DiCaprio est revenu trois fois à l'écran. Dans le cas d'autres acteurs, ce détail du calendrier serait purement anecdotique. Pas pour DiCaprio, dont les choix de rôles s'avèrent très cohérents. Django Unchained, Gatsby le magnifique et Le Loup de Wall Street permettent de dresser le portrait-robot du héros dicaprien en 2013 : un autodidacte d'origine modeste devenu un symbole de la réussite, une icône du pouvoir, légèrement mythomane, prêt à toutes les manigances pour parvenir à ses fins. Quel est le dénominateur commun entre Calvin Candie, Jay Gatsby et Jordan Belfort ? L'argent. Et tous ses corollaires : le mensonge, le vice, la surenchère. La prison dorée ou bonbonnière de Calvin Candie est une lointaine réminiscence de la somptueuse demeure de Jay Gatsby qui est elle-même une extension de la villa avec piscine de Jordan Belfort. L'incroyable ascension sociale de Gatsby rappelle immanquablement celle de Belfort. Tandis que Gatsby le sentimental se sert de l'argent comme appât pour impressionner Daisy Buchanan, Belfort le débauché se complaît dans un bourbier de traders fanatiques.

DiCaprio aime les personnages hors du commun, hors de la réalité, exubérants et extravagants. N'a-t-il pas déjà incarné un faussaire (Arrête-moi si tu peux), un double rôle de monarque (L'Homme au masque de fer), un mégalomane (Aviator), un chasseur de rêves (Inception) ? La bête de foire traquée au quotidien par les médias, DiCaprio l'a transformée avec ses deux derniers films en authentique playboy de fiction, courant de bacchanales en orgies. Comme si l'acteur s'amusait de son image de golden boy paradant sur les yachts. Le potentiel comique de DiCaprio était déjà manifeste dans Gatsby durant la scène des retrouvailles avec Daisy. Exalté par Martin Scorsese, il explose dans Le Loup de Wall Street. DiCaprio est phénoménal en ordure misogyne, queutard invétéré et cocaïnomane patenté. Les prêches de Jordan Belfort s'apparentent à des performances de stand-up. La vulgarité crasse du personnage effacerait presque la perfidie de Calvin Candie, autre registre dans lequel DiCaprio excellait. Pour sa cinquième collaboration avec Scorsese, l'acteur endosse tous les rôles, du jeune loup envieux au harangueur de foule, du séducteur au rabais au clown contorsionniste. Quand la comédie noire atteint de tels sommets, elle relève du génie pur.

MES ATTENTES POUR 2014

1. Her, Spike Jonze
2. Under the Skin, Jonathan Glazer
3. The Grand Budapest Hotel, Wes Anderson
4. White Bird in a Blizzar, Gregg Araki
5. Interstellar, Christopher Nolan
6. Noé, Darren Aronofsky
7. Knight of Cups, Terrence Malick
8. Le Conte du coupeur de bambou, Isao Takahata
9. Inherent Vice, Paul Thomas Anderson
10. Maps to the Stars, David Cronenberg

par Danielle Chou

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