L'année cinéma 2012 de Nicolas Bardot
Dans un récent édito de Positif, Michel Ciment revenait sur la place de l'imaginaire, "cette dimension du cinéma trop souvent négligée". L'imaginaire aura en tout cas relié les grands films de l'année 2012. Une œuvre comme Holy Motors, chant élégiaque d'un cinéma peuplé de fantômes de films non faits, est en même temps une formidable usine à fantasmes de cinéma, vifs et débridés - l'imaginaire comme grand horizon esthétique et narratif. Coppola retrouve l'inspiration dans le merveilleux, Kawase fait dialoguer les montagnes entre elles. L'imaginaire dicte les variations de In Another Country, s'échappe et furète d'une table à une autre dans un bar d'Oslo 31 août. La jeune héroïne des Bêtes du sud sauvage se réfugie dans un imaginaire dont les frontières ne sont pas celles de l'esprit mais qui se propage à l'écran, rappelant le merveilleux d'un Shyamalan où le fantastique surgit et explose à l'image comme on fracasserait une piñata. D'autres enfants se sont distingués en cette année ciné: la bande à Kore-Eda, entièrement guidée par un souhait (I Wish) et par l'imagination. En cette fin d'année est organisée à la Cinémathèque une rétrospective consacrée au méconnu Shinji Somai. Lorsqu'on voit le magnifique Déménagement, notamment sa première partie estivale, on se dit que Kore-Eda lui doit beaucoup. I Wish ne hurle pas "GRAND FILM" et n'est pas l'accessoire fashion de l'année, mais il trône pourtant tout en haut des plus belles choses vues au cinéma en 2012, dont le moteur là encore, fervent, rempli d'espoir, est l'imaginaire.
MON TOP
1. I Wish, Hirokazu Kore-Eda
2. Holy Motors, Leos Carax
3. Hanezu, Naomi Kawase
4. Twixt, Francis Ford Coppola
5. Guilty of Romance, Sono Sion
6. Oslo 31 Août, de Joachim Trier
7. Amour, Michael Haneke
8. In Another Country, Hong Sang-Soo
9. Les Bêtes du sud sauvage, Benh Zeitlin
10. Les Hauts de Hurlevent, Andrea Arnold
COUP DE CŒUR: Japon, still walking
Quoi de neuf au Japon aujourd'hui ? C'est la question que nous posions dans notre dossier en ligne cet automne. L'une des tristes nouveautés de cette année 2012 côté Japon, c'est la brutale disparition de Koji Wakamatsu, maître punk et poète, esthète et franc-tireur qui avait à n'en pas douter encore bien des choses à dire sur le Japon et le cinéma. Le cinéma japonais ne banderait-il plus après la mort du réalisateur de Quand l'embryon part braconner ? Pas si sûr. L'une des propositions de cinéma les plus curieuses et radicales est venue de l'archipel avec Saudade de Katsuya Tomita (lire notre entretien), film-monde qui, contrairement à beaucoup de productions nippones, n'a pas le regard exclusivement tourné sur son pays d'origine. Derrière ce film autre, il y a aussi une autre façon de faire du cinéma. Cinéaste un peu plus âgé mais encore relativement "jeune" (puisqu'il n'en est qu'à son 3e long métrage), Hitoshi Matsumoto a accouché d'un 3e ovni de suite avec Saya Zamurai, qui parvient à surprendre une nouvelle fois après Dai Nipponjin et Symbol. Côté animation, Hitoshi Takekiyo (lire notre entretien) signe un film euphorisant, After School Midnighters, qui là encore ne ressemble à rien de connu. Et parmi les cinéastes confirmés ? D'une Naomi Kawase (lire notre entretien) au cinéma radicalisé jusqu'au quasi expérimental (Hanezu) à Kore-Eda (lire notre entretien) qui signe peut-être son meilleur film (I Wish) en passant par Kurosawa qui se ressource à la télévision (Penance) et Sono en pleine bourre (l'extraordinaire Himizu ou The Land of Hope, en salles en 2013), on se dit que s'il y a une crise au Japon, il y a aussi une résistance.
COUP DE GUEULE: Mon joujou préféré, 100% matières synthétiques
Non contente d'écrire 36 romans de 600 pages par an, Joyce Carol Oates tweete. Comme elle a tweeté, ces dernières semaines: "Les femmes ne sont jamais étonnées par la misogynie, même quand certains hommes le sont". Qu'est-ce que Joyce Carol Oates a pensé du personnage incarné par Mila Kunis dans l'un des hits de l'année, Ted ? La comédie de Seth MacFarlane fait preuve d'une misogynie fascinante qui ferait perdre ses cheveux à une Femen, mais tellement banale qu'on ne la remarque même plus. Ted s'ouvre par un problème: la copine ne supporte plus que la peluche de son copain (ado attardé) s'immisce dans leur vie de couple. A la fin du film, la situation est à peu de choses près similaire. Mais on arrive malgré tout à faire passer ça pour un happy end, même pour la copine. Qui, non seulement, cède, mais encourage son boyfriend, et applaudit. La bonne conne, à qui, de toute façon, on ne demande pas l'avis. Mais l'héroïne de Ted n'était pas la seule gourdasse de l'année. Cannes 2012 a également été riche en potiches, comme dans Des hommes sans loi et sa potiche qui dit oui (Mia Wasikowska) et sa potiche qui montre ses seins (Jessica Chastain) pendant que les mecs passent à l'action. Reese Witherspoon, potichement vôtre dans Mud (en salles en 2013), n'a pas le quart de la personnalité du gamin donnant la réplique à Matthew McConaughey. Cet automne, la mère dans Sinister, alors qu'un démon hante sa maison, ne rêve que d'une chose: pouvoir faire ses courses tranquille. Durant cette saison Oscar, Sasha Stone, grande prêtresse d'AwardsDaily, évoque les 70's, ces années où Hollywood confiait des vrais rôles aux femmes. L'antidote à ce plébiscite de la cagole et de la courge se trouve dans le ciné américain subversif, celui qui passe directement par la case DVD. Les fantastiques et révoltés The Woman de Lucky McKee et Excision de Richard Bates Jr ont bien des points communs dans leur façon de glisser quelques cailloux dans la grande machine à construire des poupées-putes prêtes à consommer. Mais leur public demeure restreint. Peut-être qu'aujourd'hui, comme le disait récemment une vendeuse d'écouteurs et bourgeoise autoproclamée, "on n'a pas besoin d'être féministe".
MON TOP INÉDITS (DÉCOUVERTES FESTIVALS / SORTIES DVD)
1. Himizu, Sono Sion
2. The Woman, Lucky McKee
3. Excision, Richard Bates Jr
4. Beyond the Black Rainbow, Panos Cosmatos
5. Vanishing Spring Light, Yu Xun
6. Avalon, Axel Petersen
7. P-047, Kongdej Jaturanrasmee
8. 36, Nawapol Thamrongrattanarit
9. Sleepless Night, Jang Kun-Jae
10. Vanishing Waves, Kristina Buozyte
MES ATTENTES
1. Stoker, Park Chan-Wook
2. All Cheerleaders Die, Lucky McKee & Chris Sivertson
3. Passion, Brian De Palma
3. A Perfect Day For Plesiosaur, Kiyoshi Kurosawa
5. Kaze Tachinu, Hayao Miyazaki
6. The Bling Ring, Sofia Coppola
7. White Bird In A Blizzard, Gregg Araki
8. Nymphomane, Lars Von Trier
9. The Grandmaster, Wong Kar Wai
10. Le Conte du coupeur de bambou, Isao Takahata