L'année cinéma 2012 de Gregory Coutaut

Pas étonnant que l’année cinéma 2012 ait été chapeautée par deux films d’Hong Sang-Soo, l’un des plus brillants cinéastes de la parole. Le réalisateur coréen a confirmé qu’il était l’héritier le plus évident de Rohmer, dans le sens où c’est le grand écart entre l’incapacité d’agir de ses personnages et leur obstination à palabrer ou expliquer leurs sentiments qui rend ses films à la fois profondément familiers et touchants. Chez Hong plus encore qu’ailleurs, le langage n’est pas qu’un simple élément filmique, mais bien le cœur-même de tous les enjeux. Dans le même sillage, et chacun à leur manière, de nombreux autres films marquants de 2012 ont redonné toute leur poids aux mots. Sentence condamnant l’autre (l’accusation de La Chasse) autant que soi-même (le pacte de Faust), mais aussi paroles aux vertus magiques comme les souhaits d’I Wish, les récits légendaires de Tabou et Hanezu ou la promesse d’amour traversant les décennies de Laurence Anyways. La scène-clé du sous-estimé Captive, est justement une scène de monologue où, en verbalisant sa pensée, l’héroïne jusqu’ici noyée dans le groupe d’otages parvient à regagner une identité, et à momentanément fuir son calvaire. Pourtant les déclamations les plus cinglantes de l’année furent peut-être celles qui n’ont rencontré aucun écho. Certains personnages n’ont pas eu la parole, otages au sens propres (Miss Bala) où prisonniers d’une invincible solitude (Oslo 31 aout). Dans Au-delà des collines, les monologues s’entrechoquent jusqu’à ce que l’incompréhension fasse imploser la communauté dans la pire violence. Pour les mineurs du Fossé, le silence représente là encore la privation d’une identité mais aussi l’incapacité à se faire entendre : quand on hurle, c’est en vain, dans le désert. De même, les déclarations d’amour les plus bouleversantes de l’année ont eu le goût amer de condamnations. Des Hauts de Hurlevent à Without (les histoires d’amour les plus radicales de l’année), le couple a moins été un havre de communication qu’une prison, où formuler ses sentiments signifiait moins se soulager qu’admettre douloureusement son statut de détenu, d’esclave.

MON TOP

1. In Another Country, Hong Sang Soo
2. Holy Motors, Leos Carax
3. The Day He Arrives, Hong Sang Soo
4. Le Fossé, Wang Bing
5. I WIsh, Hirokazu Kore-Eda
6. Olso 31 Août, de Joachim Trier
7. Faust, Alexandr Sokurov
8. Les Hauts de Hurlevent, Andrea Arnold
9. Miss Bala, Gerardo Naranjo
10. Without, Mark Jackson

MON COUP DE CŒUR: La Huppert et son flair

2012, l’année du tour du monde d’Isabelle Huppert. Ses projets américains (avec Colin Farrel et Noomi Rapace) et italiens (chez Bellochio) sortiront en 2013 mais ces derniers mois ont vu sortir en salles la première partie de ce périple, sa partie la plus inattendue. Inattendue d’abord car asiatique. S’il n’est pas étonnant que les meilleures actrices internationales s’exportent, il est plus rare que ce déplacement se fasse vers l’est (Juliette Binoche étant le contre-exemple récent le plus flagrant, avec ses collaborations avec Kiarostami et Hou Hsiao Hsien). Et si la Corée est bien intégrée sur la carte mondiale du cinéma, la présence de la comédienne dans un film philippin témoigne d’une ouverture et d’une cinéphilie rare. Mais son audace n’a pas été que géographique. Cars les deux cinéastes avec qui elle a collaboré sont autant différents l’un de l’autre qu’ils sont a priori éloignés de ses propres habitudes. Brillante Mendoza puisant la force de ses récits coups-de-poing dans une technique proche du documentaire, là où Hong Sang-Soo transforme ses sketches de poches en trésors théoriques. Or elle s’est intégrée avec la même fantastique facilité dans l’urgence politique et bouillonnante de l’un que dans les miniatures comiques de l’autre. Légère et hésitante ou bien apeurée et à bout de souffle, elle y a même livré parmi ses meilleures performances. Dans chacun de ces films, la surprise a été double : non seulement elle s’est harmonieusement fondue à l’univers du cinéaste, mais cette nouvelle façon de la filmer (anonyme dans le groupe d’otages de Captive, démultipliée à l’infini dans In Another Country) nous ont fait voir son jeu sous un tout autre jour - ce qui n’est pas une mince affaire lorsqu’on réalise qu’elle tourne aussi souvent que Kad Merad.

Avec ces films, Isabelle Huppert a fait passer un message doublement excitant. Celui d’une cinéphilie faite de témérité, loin des sentiers battus et autres films-à-performances. D’une cinéphilie active, car elle se trouve à l’origine même ces projets, envoyant valser les éventuels clichés d’une actrice muse/potiche pour celui d’une véritable actrice/créatrice. Mais surtout celui d’une cinéphilie aux aguets, ayant compris que les projets les plus stimulants du moment viennent d’Asie. Loin d'un caprice de vacances, son exil exotique a pris la forme d’une bifurcation vers un territoire de nouvelles écritures cinématographiques, qu’elles soient ultra-théorique ou à cheval sur le documentaire, sans réels équivalents chez nous. Si l’on se fie aux révélations les plus prometteuses glanées récemment en festival (à défaut de les voir sortir en salles), on ne peut que confirmer que les films parmi les plus modernes et audacieux du moment naissent effectivement en Asie. On situerait même le cœur de ce renouveau aux alentours de la Thaïlande, où une passionnante génération post-Weerasethakul est en train d’émerger, on en reparle très vite. En 2012, le soleil du cinéma continue de se lever à l’est.

MON COUP DE GUEULE: Films d’horreur/ films d’auteur : la double pleine

En 2012, le cinéma fantastique a continué d’être un genre mal aimé, et les cinéphiles souhaitant voir des bons films de genre en salles ont été bien à la peine. Cinéphilie et horreur placés dans la même phrase ? Cela n’étonnera que ceux qui hiérarchisent les genres ou qui oublient que les plus grands réalisateurs contemporains s’y frottent encore régulièrement (Coppola, Almodovar, Burton, Lars Von Trier…). Si le nombre des films fantastiques sortis sur nos écrans reste relativement confortable, on ne peut que noter un gouffre abyssal entre la qualité de la production contemporaine et les pauvres produits qu’on nous livre en pâture dans nos multiplexes. Les noms les plus prometteurs du cinéma d’horreur (aux humbles yeux de l’auteur de cet article : Ti West ou Lucky McKee par exemple) n’ont droit qu’à des sorties dvd (et encore). Il s’agit pourtant de véritables films d’auteurs ; des œuvres dans lesquelles chacun reconnaitra un vrai point de vue de cinéaste, d’authentiques qualités d’écriture et une véritable personnalité derrière la caméra.

Et pourtant, hormis quelques bonnes surprises parmi les films à cheval sur le genre (Trabalhar Cansa ou les films de Ben Wheatley), la majorité du créneau fantastique des sorties en salles sont réservées à des produits sans âme, des copies de copies de sous-projets. Comme si les distributeurs jugeaient que les spectateurs n’aimaient rien tant que ce qu’ils connaissent déjà. Le menu Mcdo du film d’horreur. Le problème n’est certes pas nouveau mais 2012 fut la goutte d’eau de trop : Chroniques de Tchernobyl, The Devil Inside, Rec 3, Paranormal Activity 4, Possédée… bref le pire de ce qui aura été montré sur des écrans cette année. Et encore a-t-on plutôt évité les remakes à la merde de classiques qui ne demandaient rien. Mais d’une part les navets cités plus hauts sont déjà tellement peu orignaux et copiés sur les mêmes formules qu’on dirait déjà des remakes. Et d’autre part, il n’est pas interdit de craindre le pire avec la fournée 2013 qui s’annonce (les remakes de Carrie, Suspiria, Evil Dead ou Poltergeist arrivent, mais bon si ça ce trouve ils seront géniaux).

Ce qui énerve et décourage, c’est surtout la condescendance avec laquelle on nous sert cette soupe. Car ces navets ne manquent pas seulement de personnalité, ils trahissent surtout le cynisme de leurs producteurs, avides d’à la fois flatter les fans avec des frissons trop faciles et de gommer toute trace de vraie violence pour s’assurer un public le plus large possible. Résultat : des films incapables d’installer de la tension ou de l’appréhension, se contentant de faire sursauter trop fort et trop souvent comme un grand huit rouillé. Une vision immature et simpliste du genre qui donne le ton de l’horreur en 2012 : des films qu’au final tout le monde peut voir, presque en famille, tant il ne reste plus rien de subversif ou dérangeant. Dans Paranormal Activity 4, les héros sont devenus des ados de série Disney à qui il n’arrive rien de bien grave. Dans Possédée, toutes les scènes de violence ont été coupées au montage pour que le film ne soit pas interdit aux jeunes ados. Miam miam la thune ! Le fantastique mérite mieux que des bacs à dvd, mais le genre mérite surtout plus que cet affligeant cynisme. Auteur et horreur sont loin d’être incompatibles, mais qui n’a pas l’occasion de fréquenter les festivals spécialisés n’a hélas que peu de chance de se le voir confirmer.