L'année cinéma 2012 de Danielle Chou
L'enfant est roi. Dans I Wish et Moonrise Kingdom, les lois se sont inversées, ce sont les enfants qui partent à l'aventure, dans un royaume qui leur appartient, reléguant les parents à des rôles secondaires. L'héroïne emblématique de cette fin d'année est aussi une petite fille prénommée Hushpuppy qui règne en funambule sur un monde en péril (Les Bêtes du sud sauvage). Masqués par la brume, les jeunes Heathcliff et Cathy se retrouvent en cachette pour s'aimer (Les Hauts de Hurlevent). Malgré sa violence et son extravagance, l'orpheline Lisbeth Salander (Millenium : L'homme qui n'aimait pas les femmes) porte en elle quelque chose d'enfantin, dans son allure, son androgynie et sa désinvolture. Les Enfants loups, Ame & Yuki est moins un film sur l'enfance que le portrait enchanteur d'une mère qui lutte pour la survie des siens. Il y a du Miyazaki (et la comparaison est loin d'être écrasante) dans cette symphonie miraculeuse qui semble venir de nulle part. Chez Wes Anderson, Hirokazu Kore-Eda et Mamoru Hosoda (et Benh Zeitlin, et Leos Carax pour Holy Motors), c'est le pouvoir de l'imagination, la course aux rêves qui agitent le monde et lui redonnent une deuxième jeunesse, là où les aînés ont déjà capitulé. Les animaux symboliques ont la part belle dans cette bulle féerique (un cheval chez Spielberg, un sanglier monstrueux (réminiscence de Princesse Mononoke ?) dans Les Bêtes du sud sauvage, des hommes-loups chez Hosoda, un tigre dans L'Odyssée de Pi). A l'extrême opposé, il y a le couple vieillissant de Michael Haneke. Amour est bien un film d'amour, mais une histoire d'amour à l'épreuve de la vieillesse, la rancune, la maladie et la mort, sujets hautement glissants qui font pourtant la matière d'un film extraordinaire sur la séparation et le deuil. La solitude est aussi douloureuse et intense dans Oslo, 31 août, magnifique errance dans une ville engourdie. Le fragile retour d'Anders, ex-toxico, parmi les vivants menace de basculer à tout moment. En 2012, deux visages familiers se sont réinventés sous nos yeux. Isabelle Huppert, globe-trotteuse intrépide, se démultiplie dans In Another Country. Un gouffre sépare Magic Mike de Killer Joe et Paperboy. Mais Matthew McConaughey réussit à merveille le grand écart entre la frime et les ténèbres.
MON TOP
1. I Wish, Hirokazu Kore-Eda
2. Les Enfants loups, Ame & Yuki, Mamoru Hosoda
3. Amour, Michael Haneke
4. Killer Joe, William Friedkin
5. Les Hauts de Hurlevent, Andrea Arnold
6. Moonrise Kingdom, de Wes Anderson
7. In Another Country, Hong Sang-Soo
8. Cheval de guerre, Steven Spielberg
9. Millenium : Les Hommes qui n'aimaient pas les femmes, David Fincher
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10. Prometheus, Ridley Scott
COUP DE CŒUR : RETOUR VERS LE FUTUR
En 2012, trois canards boiteux ont brillé par la mollesse (voire la relative nullité) de leurs performances au box-office. Décriés, moqués ou tout simplement enterrés, John Carter (Andrew Stanton), Prometheus (Ridley Scott) et Cheval de guerre (Steven Spielberg) ressemblent à trois jouets rutilants du passé condamnés à l'oubli. D'inspiration rétro-futuriste, le premier propose un space opera dans la tradition souriante et enlevée des années 80. Contre toute attente, le deuxième est une ode au classicisme SF, une exploration presque enfantine, à l'image de son robot dénué d'âme et de son héroïne croyante qui s'émerveillent, chacun à leur manière, des dieux d'un autre âge. Quant au troisième, il oppose deux mondes, deux technologies (celle des chevaux et celle des chars), à la veille des grands conflits modernes. Ces trois films ne célèbrent pas les oripeaux du passé, dans un mouvement purement réactionnaire. Ils racontent, avec une certaine candeur narrative mais un éminent savoir-faire, ces vieilles mythologies auxquelles on ne veut plus croire : l'amour pour une princesse venue d'ailleurs, l'odyssée miraculeuse d'un cheval, la révélation d'un au-delà martien. Et – surprise – sans cynisme ni masque ironique.
Cette dualité entre les référents du passé (le western pour Stanton, John Ford pour Spielberg, un semblant de Planète interdite pour Scott) et l'attrait d'un nouveau monde est au cœur de Skyfall qui, lui, a brillé par ses chiffres d'entrées. La Némésis de James Bond (Javier Bardem) n'est-elle pas l'incarnation de la toute-puissance du cinéma d'action moderne, hyper sophistiqué, orgueilleux de ses effets (et hautement abracadabrant) ? La meilleure réponse (et opération de survie) trouvée par l'agent secret (Daniel Craig) sera un retour aux origines, aux fondations de son mythe : l'Aston Martin, la maison dans la brume, la carabine, loin de l'effervescence de la City. Dans un espace dépouillé et théâtralisé à souhait, ancien et nouveau monde s'embrassent enfin. C'est aussi dans le désert de John Carter, le no man's land de Cheval de guerre ou la planète mystérieuse de Prometheus que se touchent les contraires (les peuples ennemis, les mélanges de flux, les mariages contre-nature). L'émotion repose moins sur l'efficacité des effets spéciaux que la manière dont les cinéastes se réapproprient les mythes et redonnent vie aux épopées à l'ancienne, avec souffle et majesté. Dans ces films rétro-modernes, très ambitieux, à contre-courant et démodés, il n'est d'ailleurs question que de transmission et d'héritage, d'identités double et de pères à retrouver.
MES ATTENTES
1. Pacific Rim de Guillermo Del Toro
2. Kaze Tachinu, Hayao Miyazaki / Le Conte du coupeur de bambou, Isao Takahata
3. Cloud Atlas, Tom Tykwer, Andy Wachowski, Lana Wachowski
4. Twelve Years a Slave, Steve McQueen
5. Django Unchained, Quentin Tarantino
6. The Grandmaster, Wong Kar-Wai
7. A la merveille / Knight of Cups / Untitled Project, Terrence Malick
8. Passion, Brian De Palma
9. Elysium, Neill Blomkamp
10.Gravity, Alfonso Cuaron