La Terre éphémère
Simindis kundzuli
Géorgie, 2014
De George Ovashvili
Durée : 1h40
Sortie : 24/12/2014
Sur le fleuve Inguri, frontière naturelle entre la Géorgie et l’Abkhazie, des bandes de terres fertiles se créent et disparaissent au gré des saisons. Un vieil Abkaze et sa petite fille cultivent du maïs sur une de ces îles éphémères. Le lien intense qui les lie à la nature est perturbé par les rondes des garde-frontières.
TERRE REBATTUE
Il n’y a pas de raison pour que le « film d’auteur » n’ait pas, à l’image des blockbusters en perdition ou des grasses comédies, ses nanars. La Terre éphémère, sinistre daube comme on en croise des tonnes pour remplir les sections parallèles de bons festivals ou en stars de festivals de seconde zone, flirte régulièrement avec la sortie de piste rigolarde. Tout est fait pourtant pour qu’on prenne au sérieux cette histoire d’un vieil homme qui, avec sa petite fille, construit une maisonnette (une bonne demi-heure) et cultive du maïs sur un îlot tandis qu’au loin la menace des garde-frontières gronde. La Terre éphémère a la simplicité de ces longs métrages tellement soucieux de leur dénuement qu’ils finissent par être pachydermiques. On est dans du cinéma d’auteur, on bouffe donc lentement en faisant la gueule et on tombe amoureux du moindre nuage de brume qui passe (brume hautement cinégénique, merci à elle).
La Terre éphémère nous rappelle surtout que la mise en scène, ça n’est pas seulement faire des jolies images (le film est, admettons-le, assez beau). Ce spot Zen TV évoque parfois le fantôme d’un Delta, sauf que pour ce dernier il y avait un vrai réalisateur avec une personnalité derrière la caméra. La mise en scène de La Terre éphémère a ce côté ado qui joue pour la première fois avec ses jouets technologiques, ce côté nouveau riche clinquant et vulgaire : on a des rails pour faire des travellings, on a du bon matos pour faire de jolis panos, donc on ne va pas se gêner. Le vieil homme pense, le vieil homme s’agenouille, la fillette regarde, la fillette marche ou s’arrête : ça panote, ça travelling à gauche à droite, ça n’a jamais l’ombre d’un quelconque sens mais ça fera joli. Ces valses de Vienne de la caméra ont beau dos de jouer l’élégance quand on n’a strictement rien à filmer – on tient probablement ici l’une des réalisations les plus idiotes de l’année. La Terre éphémère a quand même fini par gagner des prix en festivals ici ou là ; pas étonnant car ce genre d’objet world décoratif taiseux et symbolique est l’attrape-gogo typique des festivals, assez proche dans le genre joliesse creuse et neuneu de Leçons d’harmonie d’Emir Baigazin. Une sorte d’équivalent festivalier à ces biopics comme les Oscars les adorent : les signes extérieurs du film d’auteur (ou du film à Oscars) sont là, alors ça doit être du bon. Pour notre part, lorsque la maisonnette, pirouette cacahuète, s’écroule à la fin (pas un spoiler, c’est annoncé par haut-parleur dès le premier coup de marteau), on a plus envie de rire que de pleurer.
En parlant d’Oscar, à noter que La Terre éphémère figure dans la shortlist des possibles nommés à l’Oscar du film en langue étrangère. Là encore, pas très surprenant quand on sait à quel point l’Académie aime s’encanailler en votant pour ce type de trucs exotico-anecdotiques en antidote du cinéma américain mainstream qu’elle célèbre chaque année, laissant de côté les vrais films étrangers qui comptent. A l’heure où des bons films d’auteur luttent pour trouver des salles dans un planning surchargé, que quelques rares copies leur soient piquées par cette mascarade est une autre injustice.