La Maison Nucingen
Nucingen Haus
France, 2007
De Raul Ruiz
Scénario : Raul Ruiz
Avec : Jean-Marc Barr, Laure De Clermont-Tonnerre, Elsa Zylberstein
Musique : Jorge Arriagada
Durée : 1h30
Sortie : 03/06/2009
Un couple gagne une maison en jouant aux cartes. La maison est déjà habitée... par un fantôme...
LA MAISON BRÛLE, REGARDEZ AILLEURS
"Le voyage n’a pas été trop pénible?" Telle est l’adresse au spectateur qui referme La Maison Nucingen, en voix-off sur le générique final. Et c’est à peu près tout ce qui permet de tenir le coup: Raul Ruiz a, de toute évidence, conscience de l’étendue de la catastrophe, et, régulièrement, semble tantôt s’en amuser (mieux vaut en rire…), tantôt s’en excuser. Dès l’ouverture, la chose est dite: un couple dîne au restaurant et est privé de sa conversation par les voix de convives hors champ, qui, à leur place, prennent le pli de raconter leur histoire, quitte à mentir, déformer, divaguer. La photographie est métallique à couper au couteau, la production clairement défaillante, l’absence de décor planquée par un rideau, le cadre immobile, comme coincé, les gestes étriqués, la table minuscule et… bancale! Si l’on ne reconnaissait pas Jean-Marc Barr, l’on pourrait alors jurer être face à un film amateur, tourné les week-ends avec les moyens du bord. Il faudra s’accrocher pour rester dans la salle (bientôt un personnage ronfle au milieu des conversations, et l’on nous crie "Va-t-en!", et l’on semble nous exhorter à fuir) et comprendre ce que ces plans de restaurant contiennent d’aveu.
C’est qu’il n’y a rien à voir dans les murs de La Maison Nucingen, où l’on se perd au fil de longs va-et-vient en travellings glissés, où malgré l’entassement de signes, d’objets, de bric et de broc, l’espace reste désespérément vide, à l’image des grands aplats saturés de blanc qui grignotent une image numérique inégalement maîtrisée. Car c’est là le drame du film: contrairement au récent L’Idiot de Pierre Léon, auquel on a plusieurs raisons de songer (pauvreté matérielle plus grande encore, même souci du littéraire, même inégalité flagrante dans la direction d’acteurs, etc.), La Maison Nucingen ne parvient jamais à transcender ses limitations techniques criantes. Là où le noir et blanc blême de L’Idiot se faisait progressivement oublier, par la force de la mise en scène et particulièrement du montage, les carences énormes de production (mixage indigne, choix de montage souvent douloureux, hideux fish-eye, j’en passe) submergent La Maison Nucingen, comme scarifiant l’écran ; là où le récitatif pénible de Jean Denyzot, qui gâchait littéralement le premier tiers du film de Pierre Léon, était ensuite balayé par l’énergie dévastatrice du jeu de Jeanne Balibar, l’effrayant surjeu d’Elsa Zylberstein et pire encore de Laure De Clermont-Tonnerre plongent dans un embarras que la sobriété de Jean-Marc Barr ne parvient pas à compenser seule.
Là encore, Ruiz ne paraît pas dupe : en La Maison Nucingen, on se prend les pieds dans le tapis, on vire du blanc au rouge à l’envi d’un étalonnage approximatif, on donne des coup d’os à la caméra, on joue de la musique sans se soucier de rien caler entre les gestes et le son, on en vient même à promettre (promesse hélas déçue) que Laure De Clermont-Tonnerre n’ouvrira plus la bouche de la journée, comme pour soulager le spectateur de sa peine… Ainsi, au moins, apaisé par cette attention, en sort-on sans rancune.