L'Inconnu du lac
France, 2013
De Alain Guiraudie
Scénario : Alain Guiraudie
Durée : 1h32
Sortie : 12/06/2013
L'été. Un lieu de drague pour hommes, caché au bord d'un lac. Franck tombe amoureux de Michel. Un homme beau, puissant et mortellement dangereux. Franck le sait, mais il veut vivre cette passion...
LAC PLACIDE
Il y a, dans le déroutant et séduisant nouveau film d’Alain Guiraudie, un double contrepied, une contestation joyeuse et contagieuse. Le premier geste fort du film est tout d’abord son absence totale d’embarras face à la nudité masculine. Voilà les spectateurs vengés en un seul film de décennies de femmes inutilement dénudées dans les mauvais films du monde entier. Pas un seul sein à signaler dans L’inconnu du lac (il n’y a tout bonnement aucune actrice, pas même de figurante), mais des bites en veux-tu en voilà, au repos ou en action, en gros plan ou vues de loin. Mais le geste de Guiraudie est plus subtil qu’il n’y parait. Ce n’est pas la crudité trash de la nudité qui l’intéresse, et si provocation il y a, elle tient plus dans cette manière unique et complètement décomplexée d’imposer à l’écran une nudité masculine trop souvent cachée ou ignorée chez d’autres réalisateurs. La nudité est ici la norme (tout se passe sur une plage nudiste), elle est même bon enfant et chacun y est traité avec égalité, malgré les différences d’âges ou de morphologies (d’ailleurs jamais abordées). Dans combien de films tout-public a-t-on vu des personnages masculins de 40 ou 50 ans nus ? Très peu. Dans combien de film a-t-on vu cette nudité sans que celle-ci soit tournée au ridicule (vous avez remarqué que quand on voit de fesses d’hommes à l’écran, il se trouve toujours quelqu’un pour trouver ça hilarant )? Encore moins. Le premier geste contestataire de Guiraudie est là : filmer des corps de papas nus. Les filmer longtemps et surtout, le plus souvent sans érotisme aucun, dans une simplicité totale (les acteurs jouent leurs scènes et leurs dialogues le plus souvent comme s’ils ne se rendaient même pas compte qu’ils étaient nus). C’est tellement inédit que c’est déjà un geste politique en soi. Et rien que de savoir que des salles entières de spectateurs cannois de toutes générations l’ont vu fait déjà plaisir.
Mais L’Inconnu du lac n’est pas réductible à une éventuelle volonté de choquer, c’est presque même l’inverse. Il y a une grande douceur dans la photo et le rythme du film, dans cette observation placide d’une nature souvent magnifique (on voit presque davantage le soleil couchant que certains acteurs!), mais aussi dans les relations entre les personnages, dans ces dialogues à l’humour invraisemblable, où l’on vante les mérites des Renault 25 entre deux paires de fesses. Une douceur qui, et c’est là une autre grande réussite du film, n’empêche pas le mystère. Mystère qui nait d’un traitement parfois presque irréel de ces histoires de fesses et de cœur pourtant très prosaïques. Ce décor unique de lac perdu en forêt dont on ne voit jamais les limites (on ne sait pas par où on y arrive, où on en sort, on ne voit même pas la route qui y mène, et on ne voit rien de la vie extérieure des protagonistes), le danger excitant qui rôde dans les bois, la candeur du jeune protagoniste face à un séduisant grand méchant loup, tout cela donne une dimension de conte, une nuance de merveilleux à un ensemble au réalisme pourtant minimaliste. En piochant à la fois dans le film à suspens et la comédie, Guiraudie crée pour ses personnages un trajet initiatique bien moins superficiel qu’il pourrait y paraitre. Mais finalement, c’est aussi en détournant de manière tout aussi décomplexée les schémas de sexualité gay attendus (le personnage le plus équilibré et épanoui est le seul qui n’a pas envie de baiser – c’est bien là le deuxième contrepied du film) que le réalisateur prouve qu’il n’obéit qu’à ses propres idées, et peut se permettre avec fraicheur une morale à l’ambiguïté inattendue.