L'Enfance chez Michel Gondry

L'Enfance chez Michel Gondry

De ses clips pour Oui Oui aux inventions en carton de Gael Garcia Bernal dans La Science des rêves, l'œuvre de Michel Gondry se plonge dans les vieux cartables enfantins, rêveries nostalgiques et fuites d'un réel aussi adulte qu'immangeable. Ses amours, ses pantoufles, ses angoisses, ses songes, ses poupées et ses souvenirs: à l'occasion de la sortie de son nouveau film Microbe & Gasoil, incursion non exhaustive dans le coffre à jouets du réalisateur.

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AMOUR ET AUTRES COMPLICATIONS

L'amour, plus qu'un bouquet de violettes, est d'abord source d'inquiétude pour Michel Gondry. Une anxiété qui se niche dans l'enfance, voir son court métrage La Lettre (1998) où la grande question est de parvenir à embrasser une fille, pallier flippant que s'apprête à franchir un jeune garçon moqué par son grand frère avant d'aboutir à un échec patent. Les relations amoureuses, plus tard, garderont un goût légèrement immature dans l'univers du cinéaste. Eternal Sunshine of the Spotless Mind, hypersensible, rêve de l'amour parfait et idyllique en effaçant les mauvais souvenirs, et son personnage masculin, ado attardé, se demande encore "pourquoi [il] tombe amoureux de la moindre femme qui le regarde à peine?". La Science des rêves régresse encore un peu et place la relation amoureuse au niveau de la pureté d'un rapport enfantin, où l'on envoie dans le ciel des nuages de coton et où l'on emmène sa bien-aimée sur un fier destrier, tel un chevalier sa princesse dans un conte. Mais de toute façon, "la Saint Valentin est une fête inventée par les boîtes de cartes de vœux pour déprimer les gens" (Eternal Sunshine...). L'enfance sert de refuge sucré aux amères frustrations amoureuses des adultes et à leurs relations imparfaites.

MAIS AU MOINS C'EST MA MAISON

Un refuge allégorique et parfois physique. Gondry a l'obsession du terrier (déjà dans l'un des clips de son groupe, Oui Oui), de la tente d'Indien plantée au fond du jardin, d'un univers protégé par une nappe ou une planche en bois. Jim Carrey est réduit à taille de garçonnet sous la table de cuisine de Eternal Sunshine..., tandis que les deux amoureux ne semblent vouloir se parler que la tête couverte d'un drap translucide. Human Nature va plus loin en regagnant l'état naturel, construisant sa maisonnette de poupée dans les bois, les mêmes qui semblent abriter la cabane de Björk dans le clip de Human Behavior. "Je ne voyais ni mes lecteurs, ni mon éditeur, ni aucun autre humain, et c'était merveilleux", déclare alors Patricia Arquette, freak blessée contrainte à l'exil, et auteur d'un livre sobrement intitulé Fuck Humanity. Fraîchement débarqué du Mexique, le héros de La Science des rêves ne semble à l'aise que dans ses laboratoires à inventions, qu'il s'agisse de son appartement ou de sa tête, puits aux mille merveilles. Mais le besoin de se confronter à la vérité crue des sentiments (Eternal Sunshine...), les hormones palpitantes (Human Nature) ou les promesses amoureuses (La Science des rêves) finissent toujours par avoir raison de l'abri qui n'est qu'illusoire, une solution temporaire en attendant le vacillement.

JE N'PEUX PAS, JE N'SAIS PAS, ET JE RESTE PLANTÉ LA

Une fois plongés dans le grand bain glacial de l'extérieur, les personnages agoraphobes de Gondry sont bien obligés de nager. Human Nature, après ses souvenirs traumatiques en super 8, tente de comprendre l'indubitable nature humaine en faisant des expériences de dînette sur des petites souris tandis que les hommes singes, civilisés et perruque sur la tête, essaient de se fondre dans la normalité, en vain. Le pelage d'Arquette, mutilée, repoussera toujours et son supplice de Sisyphe est sans fin. Gael Garcia Bernal exerce un job absurde auquel il ne comprend rien, et rêve, la nuit, que ses mains immenses l'empêchent d'accomplir quoi que ce soit - toute tâche devient inatteignable pour lui qui ne semble même pas pouvoir correctement parler français. Le sentiment d'inaptitude à tout est un motif récurrent chez un Gondry dont les grands garçons et grandes filles se sentent parfois trop petits pour le monde qui les entoure. Eternal Sunshine... tente de corriger artificiellement le tir avec sa technologie fabuleuse, là encore sans succès. D'apparence douce et cotonneuse, l'œuvre de Michel Gondry se révèle plus cruelle qu'il n'y paraît. Tous ses héros ont comme point commun de devoir abandonner certains de leurs désirs, parfois les plus chers, pour survivre, quitter leurs illusions d'enfant puisqu'ils ne peuvent se dépêtrer de leurs difficultés d'adulte - "everybody's gotta learn sometime".

OÙ SONT LES RÊVES DE JEUNESSE?

Puisque la réalité n'est pas assez tendre, le Gondry rêveur tente de l'enjoliver. Dès Hyperballad, l'un des clips qu'il a signés pour Björk, Gondry se penche sur les visages endormis pour en extirper les rêves les plus surréalistes. La Science des rêves, les pieds dans le congélateur, s'imagine au sommet d'une montagne enneigée pour faire du ski avec les collègues, quand la ville en carton ne danse pas au rythme d'un groupe de rock composé de chats. Dans Human Nature, une bulle onirique s'envole le temps d'une chanson interprétée par Arquette, ode flottante à Mère Nature, avant qu'un rêve érotique ne trouble l'héroïne. Eternal Sunshine... s'illustre davantage dans le côté sombre de la force mentale: les songes ne sont que cauchemars où l'amoureuse est insaisissable, visage effacé, dans de longs couloirs à la luminosité inquiétante. Quelques bouffées délirantes qui viennent parfois des propres rêves de Gondry, quelques parenthèses apaisantes ou angoissantes qui font en partie sa marque de fabrique. La rêverie, qui touche souvent à l'univers enfantin (planer sur la ville, être en communion avec les petits lapins, voir son lit s'envoler sur la banquise), n'est pas que mentale, elle se construit également avec quelques bouts de scotch.

UNE MAISON DE POUPÉE

Le bricolage a souvent été l'une des recettes du succès de Michel Gondry version clipper, quelques jouets, effets artisanaux et animations originales dans des univers bien différents - Oui Oui et ses pantins, Björk et ses animaux en peluche (Human Behavior) ou son gorille dentiste (Army of Me), The White Stripes et son stop motion musical et domino (The Hardest Button to Button), la liste est longue. Le bricolage se fait parfois plus élaboré, voir les déambulations parisiennes et répétées d'une Kylie Minogue démultipliée dans Come Into My World. Le seul mot d'ordre: un ludisme Géo Trouvetou dont le réalisateur ne se dépareille pas dans ses longs métrages. Le héros de La Science des rêves crée les inventions les plus folles avec trois bouts de ficelle (comme un plateau télé en carton), tandis que Gondry ressort, le temps d'un songe, ses tapis de mini voitures accrochés à un mur. Mais les bricolages les plus simples peuvent parfois être les plus touchants, à l'image de la lettre orangée de Kate Winslet adressée à Jim Carrey dans Eternal Sunshine.... Même dans L'Epine dans le coeur, documentaire consacré à sa tante institutrice, Gondry parvient à insérer quelques séquences où des jouets servent de transition, de respiration entre les scènes tantôt émues, tantôt amères. Mal à l'aise dans la vie de tous les jours et dans son morne quotidien, le héros chez Gondry retape d'abord le réel à coup de rêves, repeint ses murs avec quelques astuces de bricoleur, et le décore grâce à quelques peluches. Encore une fois, le refuge idéal est une fuite fantaisiste et enfantine, même désenchantée.

par Nicolas Bardot

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