Kinatay
Philippines, 2009
De Brillante Mendoza
Scénario : Armando Lao
Avec : Mercedes Cabral, Coco Martin
Photo : Odyssey Flores
Musique : Teresa Barrozo
Durée : 1h40
Sortie : 18/11/2009
Peping, un jeune étudiant en criminologie, est recruté par son ancien camarade de classe, Abyong, pour travailler en tant qu’homme à tout faire au service d’un gang local de Manille. Cette activité lui permet de gagner de l’argent facilement pour faire vivre sa jeune fiancée, étudiante elle-aussi, qu’il a décidé d’épouser. Mais pour ça, il lui faut encore plus d’argent. Abyong propose alors au jeune homme de s’engager dans une « mission spéciale », particulièrement bien rémunérée...
MORCEAUX CHOISIS
Lors de la sortie de John John, le film qui l'a révélé sur la scène internationale, le réalisateur philippin Brillante Mendoza avait témoigné son attachement à une certaine idée du cinéma-vérité. En quelques films tournés à une vitesse éclair, Mendoza s'est fait ainsi portraitiste de la société philippine, réinscrivant le pays sur la carte mondiale du cinéma. Un monde, toujours coupé en deux, toujours en collision avec l'autre. John John décrit deux mondes qui ne se mélangent pas, celui d'une mère nourricière qui vit sa dernière journée avec un enfant qu'elle a élevé et qu'elle devra, le soir venu, confier à ses parents adoptifs débarqués des Etats-Unis. Serbis dessine un monde qu'on quitte pour un autre, lorsque le grand garçon d'une famille qui vit dans un cinéma décide de laisser le cocon familial tentaculaire et, baluchon à l'épaule, tenter sa chance dans la ville qui grouille. Slingshot raconte comment un monde infiltre l'autre, suivant les tribulations de petits voleurs invisibles dans un quartier de Manille. Le décor a toujours une place prépondérante, personnage en plus et bien davantage qu'une simple scène, voir la façon dont Mendoza filme fasciné le labyrinthe des bas-fonds de Manille dans John John, labyrinthe auquel répond celui, lissé, des couloirs d'un hôtel luxueux de la ville. Voir encore le Family, le cinéma que tient la famille de Serbis, autant une salle de projection qu'un socle familial qu'un bordel improvisé, filmé avec autant d'attachement que s'il s'agissait d'une aïeule aux murs branlants.
Kinatay (qui signifie "massacre" en philippin) s'ouvre de manière habituelle pour Mendoza: la ville, ses bruits et sa fureur, on connait la chanson, mais rien ne gronde encore, pas d'événement. Le décrochage se fera plus tard, la nuit tombée, Mendoza offrant alors autre chose, explorant les territoires de l'épouvante, sous-sol à torture et putes en panique. La formule change dans Kinatay, le glissement d'un monde à l'autre se fait à l'intérieur d'une tête confrontée à l'horreur. Il est une prise de conscience, des scènes du début où un jeune héros apprend son métier de flic, à ce brouillard ensuite qui l'assomme et qui rend floues toutes les certitudes, en témoigne cette très longue scène dans une nuit à peine éclairée où l'on suit un interminable voyage en voiture. Même lorsque le jour se fait, que le héros s'éloigne, son esprit reste prisonnier des scènes de crime dont il a été témoin. La vraie plongée dans le vide se déroule, elle, sous un crâne. Kinatay, qui a pu dérouter lors de sa présentation à Cannes, tranche assez nettement avec les premiers films de Mendoza. Imparfait, tournant parfois en rond, Kinatay confirme l'ampleur formelle du cinéaste et ouvre déjà la voie d'un renouveau. Son audacieux prix de la mise en scène décerné par le jury d'Isabelle Huppert aura également ce mérite: apporter davantage de lumière sur un des cinéastes les plus intéressants apparus sur la toile ces dernières années.