Kate Plays Christine
États-Unis, 2016
De Robert Greene
Scénario : Robert Greene
Durée : 1h52
L'actrice Kate Lyn Sheil est choisie pour jouer le rôle de Christine Chubbuck, une présentatrice de télévision qui s'est suicidée à l'antenne en 1974. Pour préparer son rôle, Kate se rend à Sarasota pour enquêter sur la mort tragique de Christine.
QUI EST QUI ?
La Christine du titre, c'est Christine Chubbuck, présentatrice sur une chaine locale de Floride dans les années 70, qui s'est donné la mort en direct sur son plateau. Si le fait divers (qui a pourtant inspiré Network) ne vous dit rien, c'est normal: l'une des surprises glauques du documentaire, c'est lorsque l'on y réalise que même dans sa ville natale, personne ne se rappelle plus trop de cette histoire (les images en question n'existent d'ailleurs plus). La Kate du titre, c'est Kate Lyn Sheil, actrice peu connue du cinéma indépendant américain (croisée dans les films d'Alex Ross Perry), engagée pour jouer le rôle de Christine Chubbuck dans une reconstitution. Kate Plays Christine n'est pas un biopic, c'est un film conceptuel (n'ayez pas peur du terme!) qui mélange documentaire et fiction d'une drôle de manière, autour d'un double portrait de femme.
Kate Plays Christine suit simplement l’enquête que va mener Kate sur la vie de cette Christine (en rencontrant ceux qui l'ont connue, en se rendant sur ses lieux de vie...) - voilà pour la partie documentaire. Le film intercale dans ce fil rouge des scènes de fiction, c'est à dire la fameuse reconstitution où Kate interprète Christine. Kate Plays Christine, c'est donc à la fois un film et son making-of, réunis en un seul objet dans un singulier va-et-vient. Mais est-ce vraiment tout? Dès le début du film, il y a quelque chose qui clocherait presque, des sous-entendus qui retiennent l'attention, une atmosphère étrange difficile à disséquer. Les scènes de reconstitution font cheap (trop pour que ce ne soit pas voulu). Déguisée en Christine avec un faux bronzage et une perruque de travers, Kate a plutôt l'air sortie d'un portrait morbide de Cindy Sherman. Plongée dans un tel projet complexe, Kate parait elle-même fragile, comme quand elle juge son rapport à son métier d'actrice "malsain". Que cherche-t-elle à travers ce rôle ? Et que cherche le réalisateur qui la filme dans ses doutes, et qui met en parallèle ces deux femmes seules ?
Cette (légère) prise de tête au carré donne par instants l'impression que le film ne sait pas non plus où il va. Le réalisateur aurait pu aborder cette enquête sous un angle ludique (comme A la recherche de Vivian Maier et son insaisissable héroïne) ou spectaculaire (comme dans l'imprévisible The Reunion, justement présenté à la Roche-sur-Yon il y a quelques années), mais le sérieux dont il ne démord pas menace parfois de rendre l'ensemble caricatural. Disons-le: certaines scènes pourraient très bien marcher comme une hilarante parodie de film arty sans qu'on n'ait besoin d'y changer quoi que ce soit. Et pourtant, le film fonctionne, car on n'a jamais une longueur d'avance sur lui. A travers les parcours de ces deux femmes, à travers les témoignages de ceux qui croisent ou ont croisé leur route, et à travers ce jeu de miroir où l'on ne sait plus toujours très bien qui joue et qui est soi-même, se dessine en filigrane une passionnante toile de fond. Une réflexion sur la violence, celle que l'on garde en soi et celle que l'on choisit d'extérioriser, sur le pouvoir et les dangers que l'on peut ressentir à se mettre en scène, à jouer un rôle dans sa vie ou à l'écran. Ce n'est qu'une fois le chemin parcouru (jusqu'à un finale choc) qu'on réalise que oui, le film savait très bien où il allait. Kate Plays Christine ne se limite pas à son concept-pitch, voilà un film qui a des choses à nous dire, y compris sur nous-mêmes.