Juste la fin du monde
Canada, 2016
De Xavier Dolan
Scénario : Xavier Dolan
Sortie : 21/09/2016
Adapté de la pièce de théâtre éponyme de Jean-Luc Lagarce, le film raconte l’après-midi en famille d’un jeune auteur qui, après 12 ans d’absence, retourne dans son village natal afin d’annoncer aux siens sa mort prochaine.
HYSTERIE COLLECTIVE
Pour son sixième long métrage, Xavier Dolan s’est en quelque sorte éloigné de son Québec natal pour adapter une œuvre française avec un casting 100% français. Au stade qu’il a déjà atteint dans sa jeune carrière, Dolan aurait probablement pu tout se permettre, et l’entreprise pouvait sembler ici confortable. Elle présentait tout de même un risque double. D’abord la difficulté de rendre à l’écran la langue très particulière de de Jean-Luc Lagarce : saccadée, faite d’hésitation, de balbutiements et bégaiements, celle-ci n’est à priori pas idéale pour l’écran. L’autre défi résidait dans la taille même de l’entreprise, et plus précisément dans le poids du casting. Excellent découvreur et directeur d’acteur, Dolan semble moins à l’aise parmi les poids lourds ici rassemblés. Devant sa caméra, la famille censée vivre dans un trou paumé devient une famille de magazine branché. Gapard Ulliel (égérie Chanel) + Léa Seydoux (égérie Vuitton et Prada) + Marion Cotillard (égérie Dior) + Vincent Cassel (égérie Yves Saint Laurent) : cette accumulation inédite (on imagine le casse-tête médiatique des agents) donne involontairement au film un côté "la famille du grand luxe français joue au théâtre ce soir". Et ce malgré les efforts des comédiens qui se débrouillent comme ils peuvent avec cette satanée langue difficile à jouer et filmer.
A la tête de cette fratrie presque trop belle pour être honnête, Nathalie Baye détonne avec son look à la Angelica Huston et son jeu à la Anne Dorval (tiens, tiens). C’est à travers son personnage, sans doute le plus "dolanisé" par rapport au texte original, que le réalisateur injecte un humour un peu bouffon. Une respiration bienvenue, mais pas suffisante. La pièce de Lagarce possédait déjà un certain sens du malaise, et Dolan l’accentue encore. Son film est moins bucolique que claustrophobe : couleurs saturées, intérieurs sombres, plans serrés sur des visages tendus... il n’y a pas que les personnages qui étouffent. Juste la fin du monde, c’est cinq personnes au bord de la crise de nerfs, enfermées les uns sur les autres dans une maison (de fous), et qui se hurlent dessus leur incapacité à s’aimer simplement. On y parle du fait de parler, du fait de se taire, on analyse tout, on remplit à tout prix chaque silence, on déborde, on se coupe la parole, à soi-même, aux autres, on se parle les uns sur les autres, on monte le ton, on hurle, on re-hurle encore plus fort... Difficile de rendre aimables et émouvantes des attitudes aussi hystériques. Avec si peu de portes d’entrées ou de sorties, le film tourne à vide comme une centrifugeuse, en nous laissant à la porte.
Pire, il assomme. On est stupéfait de voir que, non seulement, le talent habituel de Dolan est ici insuffisant pour faire décoller le texte, mais que sa mise en scène participe même à la pesanteur générale. Plans illustratifs redondants, choix musicaux qui laissent perplexes, lourds violons... Certaines scènes homériques tirent carrément vers le nanar (et il nous coûte d’écrire cela à propos de l’auteur d’une Mommy pleine de grâce). Détail récurrent chez le cinéaste, les indices donnés par les paroles de chansons (Home is Where it Hurts, Don’t Nobody Know my Trouble) ici encore plus explicatifs que d'habitude. Avec sa vision doloriste (et disons le mot : ringarde) d’une homosexualité fébrile qui se drapait dans une douleur affichée mais impossible à consoler, Juste la fin du monde était en effet déjà une pièce de drama queen, où tous les personnages étaient des drama queens. Mise en scène par Dolan qu’on adore, et qui sait aussi être drama queen, ça fait vraiment beaucoup. Comme le chantait Mary J.Blige : No More Drama s’il vous plait.