Japón

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Fuyant la ville pour gagner les hauteurs du Mexique, un homme tente de mettre fin à ses jours. Mais sa rencontre avec une vieille croyante vivant reclus dans un canyon en décide autrement.

Japon - Vost FRenvoyé par _Caprice_. - Regardez des web séries et des films.

L’HOMME SANS PASSE

Un homme se tient debout au bord d’un précipice, un revolver à la main. A mi-trajet de son premier long métrage, Carlos Reygadas interrompt sa course et contemple la solitude d’un exilé face à l’indifférence du monde. Tournoyant au-dessus d’un corps inerte, Japón communique dans un même élan l’attrait du vide et le vertige de la chute. Les sens évanouis se raniment, tandis que l’esprit s’éveille douloureusement à la réalité. Une plaie s’entrouvre. Allongé près d’un cheval éventré, l’inconnu semble respirer les relents de son propre cadavre. Une longue ellipse, une toile immaculée. Puis la fiction reprend ses droits. Tout l’éclat de Japón culmine dans cette séquence charnière, cassure salvatrice redoublant l’audace du récit. Reygadas ne dit mot du passé de son personnage mutique, fait primer le geste sur le discours. Seules subsistent l’angoisse et l’urgence du présent; un être répugné par la vie cherchant un réconfort charnel dans les bras d’une sainte. Tourné en Scope sur une partition d’Arvo Pärt, Japón revendique effrontément son lyrisme, balayant par sa force de conviction les vaines accusations de complaisance.

L’EMPIRE DES SENS

Les somptueux panoramiques embrassent l’immensité de l’horizon, l’objectif indécis scrute les rugosités de la peau, la quête individuelle devient soif d'absolu. Mimant la démarche claudicante d’un peintre égaré, le film découvre à tâtons une nature aride et enchanteresse. Tremblée, floue ou surexposée, la pellicule restitue l’indolence du promeneur. Les chœurs liturgiques subliment le spectacle d’une flore incandescente. Reygadas enregistre l’instant, sans souci de cohésion, fixe avidement les paysages qui défilent sous ses yeux. Interpellé par des signes funestes – un oiseau décapité, un cochon égorgé ou un chat écrasé -, l’homme sans nom guette fébrilement les traces du vivant. L’œil se repaît de la moindre particule de vie, de ses manifestations triviales (l’accouplement de deux chevaux), angéliques (le sourire des enfants) ou dérisoires (l’endurance d’un insecte). Plaçant le corps et ses palpitations au cœur du voyage, Japón limite les dialogues aux simples formules de politesse. Reygadas emprunte une structure mouvante, dense et organique. Assumant sa dimension spirituelle, Japón dessine une lente marche ascensionnelle. Rongé par la poussière, l’homme n’en finit plus de tourner la tête vers les astres. La luminosité exceptionnelle, la faune grouillante secouent les sens engourdis; l’aplomb formel exalte le désir renaissant.

ELEVATION

Le personnage d’Ascen, la logeuse collectionnant les icônes, concentre les jeux d’antinomie de Japón. Incarnation de la grâce, effleurant le divin, Ascen fait don d’elle-même dans une étreinte pudique et extatique. Son optimisme à toute épreuve brise la torpeur existentielle du nouveau retraité. Témoin distant et fantomatique, le voyageur désabusé imprime sereinement le rythme des villageois et réalise son attachement physique à la terre. Le couple formé avec Ascen restera comme l’une des plus belles incongruités de Japón. Actrice improvisée sur le tard, Magdalena Flores distille humour et entrain à un rôle lourd de symboles. Emporté par sa démesure, Carlos Reygadas parcourt amoureusement les lieux de son enfance et menace la fiction de poussées documentaires. Les figurants s’adressent à l’équipe de tournage, au risque de rompre l’équilibre miraculeux du film. Japón refuse de départager mythe et réalité, troubles hallucinatoires et cruauté frontale. Mystère irrésolu, le titre rappelle les escales de Hou Hsiao-Hsien et d’Edward Yang. Millenium Mambo se terminait au Japon, dans une rue enneigée évoquant les grandes heures du cinéma. Respiration poétique, le séjour au Japon de Yi Yi projetait son héros dans un passé heureux et lui rendait son amour de jeunesse.

par Danielle Chou

En savoir plus

Né en 1971 à Mexico, Carlos Reygadas clôt ses études de droit par une thèse sur la Cour internationale de Justice et ses relations avec l’ONU. Spécialiste de la question des conflits armés, il s’installe à Londres puis à New York, où il correspond pour les Nations unies. A vingt-sept ans, il abandonne sans regret une carrière prometteuse de juriste pour se consacrer au cinéma. Il réalise dans la foulée quatre courts métrages (Adulte en 1998, Prisoners, Oiseaux et Maxhumain en 1999) et tente le concours d’entrée de l’INSAS à Bruxelles. Refusé (trop qualifié), il retourne au pays pour peaufiner la réalisation de son premier long métrage, Japón.

L’écriture dure six mois, le tournage -financé par sa propre boîte de production, Solaris- s’étire sur dix semaines. Carlos Reygadas s’entoure d’acteurs non professionnels, bénévoles ou amateurs, villageois et vieilles connaissances. Alejandro Ferretis (l’homme sans nom) est un ami de longue date, Magdalena Flores (Ascen) une inconnue croisée sur les lieux du tournage. Découvert dans une version plus longue (2h23) au festival de Rotterdam, le film reçoit en 2002 une Mention spéciale à la Caméra d’or à Cannes. La Caméra d’or revient quant à elle à Bord de mer de Julie Lopes-Curval.

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