Indiana Jones et le Cadran de la Destinée
Indiana Jones and the Dial of Destiny
États-Unis, 2023
De James Mangold
Scénario : Jez Butterworth, John-Henry Butterworth, David Koepp, James Mangold
Avec : Antonio Banderas, Harrison Ford, Toby Jones, Mads Mikkelsen
Photo : Phedon Papamichael
Musique : John Williams
Durée : 2h34
Sortie : 28/06/2023
1969. Après avoir passé plus de dix ans à enseigner au Hunter College de New York, l'estimé docteur Jones, professeur d'archéologie, est sur le point de prendre sa retraite et de couler des jours paisibles. Tout bascule après la visite surprise de sa filleule Helena Shaw, qui est à la recherche d'un artefact rare que son père a confié à Indy des années auparavant : le fameux cadran d'Archimède, une relique qui aurait le pouvoir de localiser les fissures temporelles. En arnaqueuse accomplie, Helena vole l’objet et quitte précipitamment le pays afin de le vendre au plus offrant. Indy n'a d'autre choix que de se lancer à sa poursuite. Il ressort son fedora et son blouson de cuir pour une dernière virée...
INDIANA JONES ET LE FAIT DE RADOTER AVEC L'ÂGE
Que le quatrième film tant attendu ait mis 19 ans à voir enfin le jour n'est pas étonnant mais que ce cinquième film dont personne ne voulait vraiment prenne presque autant de temps à se concrétiser paraît plus improbable. Et sans Spielberg (ni Lucas) qui plus est. Mais la réponse est là, justement, c'est une licence qu'on ravive, comme on l'a fait avec Star Wars ou Willow, parce qu'on a payé les droits 4 milliards et qu'on veut un retour sur investissement. La démarche purement intéressée des studios n'est pas nécessairement synonyme d’œuvres dénuées d'âme, de personnalité ou de propos, actuel en outre. La postlogie l'a bien prouvé. Mais le départ de Spielberg, préférant développer des projets plus personnels, n'était pas pour rassurer. Son remplacement par James Mangold était pour le moins surprenant et même prometteur (c'est pas un vieux de la vieille sans patte type Ron Howard ni un jeune anonyme comme Colin Trevorrow) et même avec Spielberg, un Indiana Jones post-Crâne de Cristal et sous Disney avait de quoi intriguer.
En un sens, on retrouve un peu de la démarche de J.J. Abrams & Cie sur Le Réveil de la Force. Pas de chiens de prairie en images de synthèse. Pas de frigo atomisé. Pas de tarzanerie avec des singes. On sent bien que l'équipe créative prend le soin de respecter la formule à l'ancienne...enfin, jusqu'à un certain point. Abrams retournait à la pellicule, Mangold reste sur le numérique. Toutefois, la direction de la photographie de Phedon Papamichael est peut-être plus proche de celle de Douglas Slocombe que ne l'était le travail de Janusz Kaminski pour Spielberg mais à l'heure où d'irréductibles réalisateurs et producteurs comme Christopher Nolan ou Tom Cruise persistent à réaliser leurs effets et cascades sur le plateau, ce Cadran de la destinée exacerbe quelque peu la distance déjà prise par le quatrième film avec l'action palpable lors de ses nombreuses course-poursuites. Les plans larges ont effectivement été tournés en décors naturels mais dès lors qu'on passe à un plan serré du conducteur ou des passagers aux prises avec leurs poursuivants, il s'agit de fonds verts. Et ne parlons même pas des doublures numériques ou des incrustations du visage d'Harrison Ford sur le corps d'un autre. A l'écran, ça paraît presque contre-nature.
Eternel kink de la major, le de-aging - parfait tant que Ford ne bouge pas trop, plus distrayant quand il parle et s'agite - est inévitablement de mise ici lors d'une introduction qui semble chercher à flatter le spectateur sur plusieurs points. Non seulement la démarche paraît dire au public "on a compris que vous n'aviez pas aimé voir Ford remplacé par un autre sur Solo" mais le réflexe nostalgique pavlovien provoqué par l'apparence de Ford rajeuni se double d'une sorte de remake de l'ouverture de La Dernière croisade (avec un peu de l'ouverture du Crâne de cristal) que ce soit dans la temporalité (l'action est située 20 ans avant les événements du film) ou dans le décor (un train). Sans oublier qu'on revient aux méchants cultes de la saga, les nazis, chaque épisode impair cherchant à rectifier l'écart opéré par l'épisode pair. Et ce n'est malheureusement pas le seul moment qui sent un peu la redite. Recherche d'un indice sur une tombe, passage étroit grouillant d'insectes, lumière du soleil filtrée à travers un interstice qui révèle un chemin, l'aventure donne parfois l'impression de jouer les greatest hits de la saga.
Et pourtant...ça fonctionne. Malgré ces bémols, dès le début du film, on retrouve clairement l'esprit de la série. Plus encore que sur les nouveaux Star Wars, la continuité est assurée sans dénoter, c'est la même petite musique (malgré une BO pas vraiment inspirée de John Williams). C'est un vrai travail d’amour de la part de Mangold dont les scènes d'action sont par ailleurs tout à fait efficaces, même si aucune ne saurait rivaliser avec les morceaux de bravoure de son prédécesseurs (pas même la poursuite dans la jungle du 4). Mads Mikkelsen compose un bon méchant même si c'est globalement la même performance que pour Casino Royale ou Doctor Strange et il n'a pas grand chose à jouer en réalité (sa mort est la moins graphique de la franchise, remboursez). Phoebe Waller-Bridge est parfaitement charismatique. Le gamin est pas trop relou. Antonio Banderas est là 5 minutes. C'est un film tout à fait honorable et plutôt solide, divertissant bien qu'un peu long (2h32, c'est bien la preuve que certains ne savent plus rythmer leur récit comme avant) et qui derrière la recette scrupuleusement appliquée se permet même quelques idées audacieuses, tant dans la caractérisation et la dramaturgie que dans la mythologie imaginée autour du McGuffin.
Malheureusement, le potentiel thématique du premier n'est correctement exploité pour raconter quelque chose (de neuf vis-à-vis du précédent) et le second apparaît trop poussif. Ainsi le film rejoue la partition du Jones vieillissant dépassé par le monde (ici, les gens ne se passionnent plus pour l'Histoire de jadis mais celle qui s'écrit au présent, avec l'alunissage fêté en grandes pompes) et esseulé. Mangold avait mieux traité de tout ça dans Logan, qui s'inscrivait également dans sa thématique de prédilection sur les figures de masculinité mises à mal, mais laisse un peu cette piste en friche ici. Il est également étonnant de constater qu'une fois de plus, la saga opte pour un surnaturel empruntant à la science-fiction plutôt qu'à la religion alors qu'il s'agissait d'un des points de discorde concernant le quatrième film...et une fois de plus, l’exécution n’est pas totalement convaincante. Il aurait fallu assumer et lier la trame personnelle directement au lore. Indiana Jones et le Cadran de la Destinée n’est pas un mauvais film, loin de là, mais il ne fait pas preuve d'assez de nouveauté ou de cœur pour marquer durablement les esprits.