Cinéma du Réel: I Remember the Crows
Lembro mais dos corvos
Brésil, 2018
De Gustavo Vinagre
Durée : 1h20
Que peut-on dire de soi avant que le jour se lève ? Mi-documentaire, mi-fictionnel, ce portrait naît d'une complicité de longue date entre le réalisateur et l'actrice transgenre nippo-brésilienne Julia Katharine, qu'il a déjà filmée auparavant. La conversation s'engage dans l'appartement de celle-ci...
MOI, TOUT SIMPLEMENT
Une nuit, une chambre d'appartement, une interlocutrice (et, serait-on tenté d'ajouter, une bouteille de rosé) : le dispositif du documentaire I Remember the Crows (Lembro mais dos corvos) est particulièrement épuré. Le réalisateur brésilien Gustavo Vinagre (dont c'est le premier long métrage) fait le portrait de Julia Katharine, actrice nippo-brésilienne, insomniaque et transsexuelle. C'est une discussion d'une nuit jusqu'à ce que croassent les corbeaux et que le soleil doucement se lève. Une nuit incitant aux confidences qui, au gré des anecdotes, constituent un autoportrait complexe, sensible et émouvant.
"Tu filmes, là ?" L'un des enjeux stimulants de I Remember the Crows en matière de cinéma est sa réflexion sur la mise en scène de soi. C'est à une mise à nu que l'on assiste, dans une relation d'intimité. Mais Julia Katharine sait ce qu'elle donne et ce qu'on attend. Si elle confie que sa vie sexuelle ferait de Nymphomaniac de Lars Von Trier un film pour bambins, elle ajoute amère qu'on ne s'intéresse aux personnes transsexuelles que pour les détails de leur vie sexuelle. Elle est consciente de ce que la caméra exige, parade en kimono, mais n'est pas dupe : la mise en scène de soi et le possible artifice révèlent toujours, en fin de compte, une autre vérité. Et I Remember the Crows semble autant mis en scène par lui que par elle.
Julia Katharine retrace sans pathos (alors qu'il y aurait de quoi) le parcours d'une transsexuelle à qui la vie n'a pas fait de cadeau, de la relation abusive qu'elle a eue avec son grand oncle à son désastreux périple au Japon. Mais, et cela fait partie des nombreuses nuances surprenantes du film, Julia est la première à rire d'elle-même, notamment quand elle relate ses tentatives de suicides destinées avant tout... à énerver sa mère. Julia Katharine est passionnée de cinéma, admire les grandes actrices, adore les cérémonies de prix, se souvient des pleurs de Nicole Kidman ou de Charlize Theron aux Oscars, de la vie mélodramatique de Vivien Leigh et se projette dans ses idées de longs métrages romantiques, pour compenser "le manque de romance" dans sa vie. Et pourtant, quel récit de vie extraordinairement romanesque qui fait vibrer les murs de ce petit appartement plongé dans la nuit ! Gustavo Vinagre saisit cette pulsion de vie avec honnêteté et intégrité, tandis que peu à peu se dessine devant nous le chemin passionnant vers l'empowerment d'une personnalité hors du commun - une femme puissante dans une société où les crimes transphobes sont en recrudescence.