Gone Girl
États-Unis, 2014
De David Fincher
Avec : Ben Affleck
Sortie : 08/10/2014
Amy et Nick forment en apparence un couple modèle. Victimes de la crise, ils quittent Manhattan pour retourner s’installer dans la ville du Missouri où Nick a grandi. Mais le jour de leur 5ème anniversaire de mariage, Amy disparaît et Nick retrouve leur maison saccagée. Lors de l’enquête tout semble accuser Nick. Celui-ci décide, de son côté, de tout faire pour savoir ce qui est arrivé à Amy et découvre qu’elle lui dissimulait beaucoup de choses...
AMAZING DAVID
Le marketing est peut-être ce qui va tuer le cinéma. Depuis des semaines et des mois, le nouveau film de David Fincher est décrit comme le thriller définitif, une œuvre au suspense insoutenable qui va détrôner les meilleurs Hitchcock au panthéon du genre. Il faut dire que l'ami Fincher a déjà une étiquette accolée à son nom. Se7en, Millenium et surtout Zodiac l'ont installé comme le nouveau maître d'une discipline où son art clinique de la mise en scène fait merveille, et dans laquelle sa misanthropie peut s'accomplir à la perfection. Le thriller est le genre du psychopathe, de l'asocial, et cette figure traverse toute la filmographie de l'auteur d'L’Étrange histoire de Benjamin Button. Dans Social Network, peut-être son chef d’œuvre, David Fincher nous démontrait que le monstre du web 2.0 - Mark Zuckerberg - était devenu le maître du monde, tout en restant profondément solitaire. Il gardait en lui la rancune du rejet originel. Le nouveau réseau social qu'il codait avec ses amis nerd s'apparentait à une gigantesque toile d'araignée où s'empêtraient les individus. Son cerveau tout puissant pouvait observer nos agissements à sa guise, comme un enfant regarde une fourmilière. Avec Gone Girl, il pousse encore le curseur plus loin, démontrant par A+B que le mariage et la société contemporaine nous poussent à devenir des psychopathes. Que les esprits brillants sont condamnés à la monstruosité et l'abaissement, à force de vouloir suivre la norme d'une société devenue folle du spectacle de la représentation.
DESTIN LE JEU DE LA VIE
Il faut donc oublier le thriller sur-vendu, qui manque de crédibilité dans les agissements des différents protagonistes, pour savourer l'éclatante démonstration de Gone Girl. Les premières phrases tiennent de la note d'intention. Et si l'on ouvrait le cerveau d'une femme, ou plutôt de l'autre moitié du couple, quels secrets découvririons-nous ? Amy est un magnifique personnage, la "grande sœur" du héros de Social Network, qui, comme lui, a fait Harvard, et qui se retrouve confrontée à la crise du couple, elle qui rêvait d'être à la hauteur du personnage de fiction créé par ses parents - idée géniale assez peu exploitée au final. Le film a été taxé de misogynie par quelques plumes acerbes, alors que l'on a rarement vu un mâle aussi malmené dans sa représentation. Nick joue au jeu de société - Destin - en buvant des coups avec sa sœur jumelle dans le bar payé par sa riche épouse, passe son temps libre à jouer à Call of Duty quand il ne couche pas avec la première étudiante à forte poitrine qui passe par là. Bref, un champion de la lose, au chômage technique, totalement passif et ahuri, au moins le pense-t-on.
ELVIS DANS LE MISSOURI
Faux-thriller maquillé en perverse comédie de remariage, Gone Girl est aussi le portrait acerbe de la société américaine et de sa justice médiatique. L'affaire DSK et l'avocat-star de Nafissatou Diallo Kenneth Thompson ne sont jamais loin quand David Fincher nous montre que la justice de son pays n'est plus une affaire de culpabilité mais avant tout un concours de popularité. Il faut jouer avec les médias les plus complaisants, accepter de devenir les héros d'une télé-réalité judiciaire immorale et sordide. C'est brillant, excellemment joué, mis en scène avec un réjouissant sens du grotesque que ne renierait pas Brian de Palma, avec toujours un petit temps d'avance sur le spectateur quant aux rebondissements nombreux de l'intrigue. Ce petit jeu de massacre manque néanmoins d'émotion, comme si le film avait été imaginé par un extraterrestre qui ausculterait notre cerveau au scalpel, sans éprouver une quelconque empathie pour notre espèce et notre époque. David Fincher n'a jamais été aussi proche du monstre asocial qu'il met en scène dans Social Network, lui le génie du septième art, au cinéma de plus en plus cérébral et théorique.