Forêt sans nom (La)
Siritsutantei Hama Maiku: namae no nai mori
Japon, 2003
De Shinji Aoyama
Scénario : Shinji Aoyama
Avec : Yoshio Harada, Masatoshi Nagase, Nene Otsuka, Kyoka Suzuki, Masashi Yamamoto
Photo : Tamura Masaki
Musique : Yoko Kumagai, Hidehiko Urayama
Durée : 1h11
Sortie : 19/03/2003
Mike Yokahama, détective privé en complet skaï, est chargé de retrouver la fille d’un riche industriel embrigadée par une mystérieuse secte. Au cœur de la forêt, Mike découvre une communauté de névrosés, dévouée à une mère gourou, trop bienveillante pour être honnête.
JE SUIS UN NUMERO
Bulle récréative dans la filmographie de Shinji Aoyama, La Forêt sans nom succède au vertigineux Eureka et à l’asphyxiant Desert Moon. Pilote d’une série télévisée conviant plusieurs cinéastes, le moyen métrage ne satisfait pas toutes ses promesses, mais ouvre un dédale d’énigmes en suspens pour les douze épisodes à venir. Aoyama revient à un format plus modeste, mais le malaise qui sous-tend ses histoires guide toujours son inspiration. Comme bon nombre d’essayistes japonais, La Forêt sans nom interroge la place de l’individu au sein d’un groupe hégémonique. Mike Yokohama vit-il en marge d’une société uniformisée? En est-il le produit formaté? Jusqu’où s’étend son libre arbitre? Aoyama s’attache moins à l’efficacité de la démonstration qu’aux prémisses d’une réflexion. Panoplie croco, coupe hérisson, lunettes teintées, Mike exhibe sa différence, mais court après une vaine reconnaissance sociale. Citadin effronté et railleur, il est l’exact antithèse de cette hôtesse doucereuse, en robe et châle de princesse d’un autre âge. Parachuté dans une communauté aseptisée, le détective bouscule le quotidien de ses adeptes et repousse d’une main (mal) assurée les doutes persistants qui l’assaillent. Au contact de ces dépressifs anonymes, passant leurs après-midis à végéter en survêtements, Mike réalise pourtant l’efficacité du traquenard. Le lavage de cerveau n’est pas sans rappeler les méthodes de la secte Aum, dont les attentats au gaz sarin en 1995, ont durablement choqué la conscience japonaise.
UN POUR TOUS
Distance de Kore-Eda tentait de mettre en lumière les dérives d’un tel encadrement. A son tour, Aoyama s’immisce dans une collectivité fictive, en éprouvant la résistance de l’individu. Protégé par son ironie critique, Mike Yokohama découvre un dortoir d’adolescents en perdition, dans laquelle sommeillent de dangereux terroristes en devenir. La réalisation, discrète et appliquée, respecte la narration codifiée d’une série, avec les limites qu’elle suppose. Après un détour en ville, Shinji Aoyama s’égare dans une campagne désincarnée. La comédie enjouée glisse subrepticement vers un fantastique en demi-teinte. La mission première, accessoire, (retrouver la fille d’un client) disparaît au profit d’un expédition existentielle (se retrouver soi). La porte de sortie a beau rester grande ouverte, Mike prolonge délibérément son séjour. Le visiteur se voit attribuer un numéro, retirer son trousseau de clés et projeter dans une société infantilisante, reposant sur le déni: déni de son identité, de sa famille, de ses responsabilités (ici, un mariage non souhaité). Aoyama emprisonne son héros dans un dispositif sapé par la redite: les conflits s’enlisent, tandis que les mêmes cérémonials se répètent à l’infini. Jusqu’à l’exploration de cette forêt sans nom, le moyen métrage oublie toute contrainte temporelle. Ni tension, ni éclat. Une simple promenade feutrée. Où un homme part dans la forêt chercher l’arbre qui lui ressemble. Joli raccourci: s'il peut s'affranchir de l'autorité, Mike revient inlassablement vers la communauté. Tant qu’il ne se laisse pas dévorer par celle-ci.
En savoir plus
Mike Hammer remix
Pilote de la série télévisée Shiritsu Tantei Hama Mike (Le Détective privé Mike Yokohama), La Forêt sans nom dérive de la trilogie du réalisateur Kaizo Hayashi, The Most Terrible Time in My Life, Stairway to the Distant Past et The Trap. Les trois longs métrages ont pour personnage central Mike Hama (clin d’œil à Mike Hammer), déjà interprété par Masatoshi Nagase. Chacun des douze épisodes de la série a été confié à une personnalité différente. Parmi elles: Sogo Ishii (Gojoe, Le Labyrinthe des rêves), Shinobu Yaguchi (Waterboys), Isao Yukisada (Go) et Alex Cox (Sid and Nancy). Ces mêmes réalisateurs ont livré une version director’s cut pour promouvoir les DVD et les sorties à l’étranger.