Félicité
Félicité, libre et fière, est chanteuse le soir dans un bar de Kinshasa. Sa vie bascule quand son fils de 14 ans est victime d'un accident de moto. Pour le sauver, elle se lance dans une course effrénée à travers les rues d'une Kinshasa électrique, un monde de musique et de rêves. Ses chemins croisent ceux de Tabu.
LA TÊTE HAUTE
De retour en compétition à la Berlinale après Aujourd'hui, le réalisateur franco-sénégalais Alain Gomis frappe un grand coup avec le superbe Félicité. Un film qui porte le nom de son héroïne dont le visage apparaît en gros plan dès la première image - on croit imaginer où peut aller ce type de "magnifique portrait de femme". Mais Félicité n'a pas l'aspect figé de ce genre de longs métrages édifiants: il vit, fulmine, gigote comme les fêtards du bar dans lequel on se trouve et où la musique enivre autant que l'alcool. Cette histoire de survie, ce sentiment d'urgence, cette société où l'argent est dieu, cette héroïne-courage qui doit remuer ciel et terre: Félicité pourrait être une transposition congolaise d'un des drames électriques du Philippin Brillante Mendoza. On est dans la ville, en son cœur. Dans la ville et sa moiteur.
Contre-pied: aux chansons de bar sur lesquelles retentit la voix forte de Félicité succède un orchestre symphonique jouant du Arvo Pärt. Ce qui pourrait n'être qu'une gommette arty collée sur le film a du sens: la musique du compositeur estonien vient trancher avec celle, traditionnelle et populaire, qui semble appartenir aux lieux. Elle déplace le propos: la loupe ne se concentre pas que sur un drame social propre à Félicité, mais sur quelque chose de plus universel. Le fait de voir l'orchestre n'est pas non plus anodin: intégré au récit, il est comme un chœur qui commente et offre une seconde voix, une autre perspective. On est dans la vie et son urgence, mais Gomis sait aussi prendre du recul pour donner encore plus de relief à ce destin, et son héroïne.
Les personnages de Félicité sont souvent plus que des héros ordinaires. Félicité, "belle comme des ronces", est littéralement revenue d'entre les morts et a été rebaptisée. Quelques percées oniriques la détachent du réel. Comme on l'a dit, le film évite les pièges de la formule programmatique. Sans rien dévoiler du dénouement du film, son climax ne se situe pas à la fin. Le drame et sa résolution ne sont pas l'unique finalité dans Félicité. Lors d'une scène plastiquement formidable, les fondus enchainés se multiplient sur Félicité, stoïque pendant que la vie continue. Dans quelles conditions ? Qu'est-ce qu'on fait maintenant ? La ville qui gronde semble, le temps de certains plans, éteinte et muette. Et la vie reprend, dans le rire ou la musique, sans angélisme ; pas parce qu'il faudrait faire de Félicité une statue idéale de courage et de dignité, mais parce que, précisément, Félicité est profondément humaine et que la vie s'impose à elle car elle ne sait pas faire autrement. Voilà un portrait complexe et inédit qui bouleverse.