Festival de Deauville: Et la femme créa hollywood
France, 2016
De Clara Kuperberg, Julia Kuperberg
Durée : 52m
Le premier film parlant a été réalisé par Alice Guy, le premier en couleur a été produit par Lois Weber qui a réalisé plus de 300 films en dix ans, Frances Marion était la scénariste de la star Mary Pickford, et gagna deux Oscars, Dorothy Arzner fut la réalisatrice la plus puissante d’Hollywood, leur point commun ? Ce sont toutes des femmes et elles ont toutes été oubliées. Aussi incroyable que cela puisse paraitre, il aura fallu attendre 2010 et Kathryn Bigelow pour qu’une femme soit récompensée aux Oscars dans la catégorie Meilleure Réalisation ! Si elles sont sous-représentées, les femmes ont pourtant toujours fait partie de l’Histoire du 7e Art. C’est cette partie de l’histoire souvent passée sous silence que le documentaire propose de raconter.
UNE AFFAIRE DE FEMMES
Signé à quatre mains par deux sœurs réalisatrices, Et la femme créa Hollywood est un documentaire destiné à la télévision (cela se réfère autant à sa durée de 52 minutes qu’à sa facture simple), mais qui déborde de cinéma, d’un cinéma jusqu’ici caché. En 2016, la place des femmes dans le cinéma mondial est déjà réduite, à Hollywood elle l’est particulièrement, alors qu’attendre du Hollywood classique d’il y a cent ans ? Eh bien beaucoup de surprises. A l’époque où ce quartier de Los Angeles s’appelle encore Hollywoodland, et où le cinéma est encore plus une lubie louche qu’un business, les femmes y régnaient en maitresses. Qui s’en rappelle aujourd’hui?
Au moment où le cinéma quitte les fêtes foraines pour les salles obscures, les Américaines ne sont attendues nulle part ailleurs que dans leur cuisine. Pas assez bonnes pour les jobs respectables, elles s’emparent de ce nouveau média, terrain de jeu où elles inventent sur le tas leurs propres métiers, qui n’ont même pas encore de noms, et s’attaquent à tous les genres, surtout ceux supposés virils comme le western ou le film policier. Et la femme créa Hollywood analyse les raisons sociologiques de cette gloire disparue, mais s’intéresse surtout aux faits, cite des noms scandaleusement tombés dans l’oubli, des chiffres affolants (une scénariste ayant écrit 400 long métrages !), avec l’énergie résignée de ceux (ou plutôt celles, car les interviewées sont toutes des femmes) qui savent qu’une femme doit hurler pour se faire entendre.
L’histoire n’est que la version officielle dictée par les vainqueurs, rappelle une des intervenantes. Les vainqueurs, ce sont les hommes, et en effet, le film aurait tout aussi bien pu s’appeler "Comment Hollywood fut volé aux femmes". Après la crise de 1929 et surtout la Seconde Guerre Mondiale, on fait bien comprendre à ces dames (qui ont pourtant assuré le métier de leurs maris partis au front) qu’il faut retourner au foyer, sous peine d’être antipatriotes. Dans une économie alors incertaine, les hommes se ruent sur le cinéma, le transforment en gigantesque machine à sous et n’oublient pas de botter au passage les fesses de celles qui leur ont ouvert la voie. Du jour au lendemain, les productrices et réalisatrices de génie se retrouvent maquilleuses, script-girls ou actrices.
En passant de derrière à devant la caméra, cette génération de pionnières a perdu sa place non seulement dans l’industrie, mais carrément dans les livres d’Histoire. Il a fallu attendre l’essor du féminisme pour qu’elles retrouvent la première (dans le Hollywood contemporain, la femme est un requin comme les autres), et aujourd’hui pour la deuxième. Malgré une durée modeste, chaque minute de Et la femme créa Hollywood est remplie d’anecdotes passionnantes, redonne à ces femmes la place qui leur est due, et offre la meilleure des leçons d’Histoire : se méfier de l’Histoire officielle.