Eden
France, 2014
De Mia Hansen-Løve
Scénario : Mia Hansen-Løve
Durée : 2h11
Sortie : 19/11/2014
Au début des années 90, la musique électronique française est en pleine effervescence. Paul, un DJ, fait ses premiers pas dans le milieu de la nuit parisienne et créé avec son meilleur ami le duo «Cheers». Ils trouveront leur public et joueront dans les plus grands clubs de la capitale. C’est le début pour eux d’une ascension euphorique, vertigineuse, dangereuse et éphémère. C’est aussi le parcours sentimental d’un jeune homme qui accumule les histoires d’amour et qui n’arrive pas à construire. Eden tente de faire revivre l’euphorie des années 90 et l’histoire de la French Touch : cette génération d’artistes français qui continue de briller dans le monde entier.
CULTURE BEAT
Faut-il accorder un quelconque crédit aux rumeurs précédant la première présentation d’un film ? En l’occurrence, la rumeur donnait au nouveau long-métrage de Mia Hansen-Løve (son quatrième) une gestation tumultueuse. Il « paraitrait » que le film aurait eu du mal à trouver sa forme finale, serait passé par de nombreux essais de montages différents. Nous n’en savons rien, et pourtant ces on-dit reviennent en mémoire à la vision d’Eden, car l’ensemble peine à trouver le rythme adéquat sur lequel dérouler son récit à la fois intime et ambitieux s’étalant sur quinze ans, et sur plus de deux heures. A trouver les respirations et les reliefs nécessaires sur lesquels s’appuyer. L’encéphalogramme d’Eden reste bien plat. Ce n’est pas un problème de durée (même si celle-ci n’aide pas vraiment). Ce n’est pas non plus dû au fait que Hansen-Løve se focalise plutôt sur des micros-événements, car cela était déjà le cas dans ses précédents longs métrages, plus franchement enthousiasmants. Quelque part dans l’agencement de son récit (lors des montages ? Dès l’écriture ?), la réalisatrice a perdu le sens du romanesque nostalgique qui portait par exemple Un amour de jeunesse. La jeunesse des héros d’Eden n’est d’ailleurs pas tellement différente, mais la manière dont leurs jours s’enchainent sans nuance ni grande évolution, crée moins une torpeur poétique qu’un ennui fade.
A chaque film, Sofia Coppola se reprend le même argument beauf dans la tronche. Ses œuvres ne seraient que des histoires de pauvre petite fille riche, forcément vides et creuses, ineptes. Les personnages d’Eden sont aussi aisés (ou ici, quand ils ne le sont pas, on est censé être ému parce qu'ils ne peuvent pas se payer des bouteilles de champagne dans un bar de luxe), nonchalants et mélancoliques que ceux de Coppola, mais cette dernière donne au spleen adolescent une splendeur et un relief émouvants. Une nostalgie que Mia Hansen-Løve ne touche ici que par moment, notamment lors de son dénouement doux-amer. Mais en attendant ce poignant bilan face à une carrière avortée, le film ne fait pas grand chose de fascinant des angoisses et tracas de ses protagonistes. Pourtant, la réalisatrice a à cœur de rectifier l’étiquette qui a été collée au film : « Je n’ai pas voulu faire un film sur l’histoire de la French Touch ». De fait, la plupart des morceaux entendus ici (de Rosie Gaines à Crystal Waters) ne sont pas français, et si l’on croise régulièrement les Daft Punk, ils sont loin de leurs tenues de mégastars.
Eden n’a pas vocation à la reconstitution, et quelque part tant mieux. Car il est grinçant de constater qu’un film se basant ainsi sur une musique rendue populaire par les clubs et donc les clubs gays, n’offre aucun personnage queer (même secondaire), et que les mentions d’homosexualité ne se font que par le biais d’insultes. On a bien envie de rappeler à tout le monde que l’acronyme de RADIO FG, dont il est beaucoup question dans le film, signifie avant tout « fréquence gaie ». De plus, à force de vouloir présenter les protagonistes de cette période comme des antihéros, Mia Hansen-Løve les transforme en personnages assez pénibles. La galerie de persos féminins est à frémir de clichés : la maman-boulet, la pouffe de luxe, la fille pénible qui ne veut pas coucher, la femme-ange pleine de sagesse, etc. Mais les garçons ne valent pas mieux : gentiment sexistes, gentiment homophobes, gentiment infidèles…
L’histoire d’Eden n’est pas celle de la French Touch, elle s’inspire de la vraie histoire de Sven Hansen-Love, frère de la réalisatrice (et ici co-auteur du scénario). Impossible de préjuger à quel point elle y est fidèle, mais l’histoire racontée ici est celle d’un mec doué qui à force de dilettantisme devient une sorte de branleur irresponsable. Sa rise and fall story consiste à accueillir une nouvelle fille dans son lit presque à chaque séquence. Les filles tombent dans son lit (on voit presque plus les draps du héros que ses platines !) à intervalles réguliers, pour mieux disparaitre entièrement par la suite, comme dans un improbable body count de film d’horreur. Mais plus que ces répétitions qui bégaient, le principal problème d’Eden réside peut-être dans son casting. Les noms connus gravitent dans les seconds rôles tandis que les rôles principaux reviennent à comédiens quasiment inconnus et au charisme encore bien trop balbutiant pour porter un tel film sur leurs seules épaules. Le très peu démonstratif Felix de Givry (repéré dans Après Mai d’Assayas, et c’est tout, comme toute une partie du cast) et ses acolytes n’aident pas à insuffler du caractère à un ensemble aussi pesant. Dommage…