Dune
États-Unis, 2021
De Denis Villeneuve
Scénario : Eric Roth, Denis Villeneuve d'après Dune de Frank Herbert
Avec : Javier Bardem, Dave Bautista, Josh Brolin, Rebecca Ferguson, Oscar Isaac, Jason Momoa, Charlotte Rampling, Stellan Skarsgärd
Photo : Greig Fraser
Musique : Hans Zimmer
Durée : 2h35
Sortie : 15/09/2021
L'histoire de Paul Atreides, jeune homme aussi doué que brillant, voué à connaître un destin hors du commun qui le dépasse totalement. Car s'il veut préserver l'avenir de sa famille et de son peuple, il devra se rendre sur la planète la plus dangereuse de l'univers – la seule à même de fournir la ressource la plus précieuse au monde, capable de décupler la puissance de l'humanité. Tandis que des forces maléfiques se disputent le contrôle de cette planète, seuls ceux qui parviennent à dominer leur peur pourront survivre…
L'APPEL A L'AVENTURE
Entre les progrès technologiques, le temps qui passe et la frilosité des studios à financer des blockbusters qui ne soient pas des marques connues, on vit une époque où les projets que l'on a longtemps cru infaisables, suites inespérées ou arlésiennes, sont devenus la quasi-unique composante du cinéma à grand spectacle hollywoodien. En 2008, personne n'aurait parié sur le MCU. Aujourd'hui, ils règnent en maître sur le box-office. C'est ce climat qui rend possible une nouvelle adaptation de l’œuvre culte de Frank Herbert après l'adaptation polarisante qu'en a fait David Lynch en 1984. Par chance, le projet a traîné assez longtemps, passant entre les mains de Peter Berg et Pierre Morel, pour qu'un autre auteur digne de ce nom puisse s'y atteler. Il faut dire que le récit original était taillé sur mesure pour Denis Villeneuve, lui permettant d'explorer une nouvelle fois certaines de ses thématiques de prédilection, comme la nécessité de mettre un terme au cycle de la violence ou de déchiffrer sa propre histoire de manière à la comprendre. Toutefois, c'est surtout d'un point de vue formel que le cinéaste s'approprie le matériau, avec une direction artistique inattendue mais en réalité totalement adéquate et une mise en scène majestueuse, convoquant un genre de spectacle devenu rare au cinéma. Toutefois, si le world-building est à la hauteur, l'écriture laisse le spectateur sur sa faim...
Dès ses premières secondes, avant même que le logo de la Warner n'apparaisse, une voix d'outre-tombe nous interpelle d'un message cryptique. Juste après, la première des nombreuses visions qu'a Paul Atréides et qui rythment le récit viendra immédiatement rappeler celles de Premier contact. Des jumeaux enquêtant sur le passé de leur mère au Réplicant cherchant à prouver ce qui le rend spécial en passant par les interrogations du protagoniste d'Enemy, le personnage villeneuvien, souvent un enfant, essaye de remonter le fil de son destin, de recoller les morceaux, de résoudre le jeu de pistes qui donnera à son parcours le sens qui lui semble faire défaut. "Le chaos est un ordre qui n'a pas encore été déchiffré" nous avertissait Enemy et cette maxime peut s'appliquer au jeune héritier de la Maison Atréides. Dans Blade Runner 2049, Villeneuve subvertissait déjà le cliché de "l’Élu" et Dune poursuit sur la lancée de cette déconstruction, montrant son héros non pas comme un jeune qui-en-veut mais comme un potentiel Messie créé de toutes pièces, un white savior manufacturé, sa destinée décidée pour lui avant même sa naissance, une fatalité qui s'ajoute à celle qui lui incombe déjà en tant que fils du duc. C'est lorsqu'il s'attarde sur ce poids et cette confusion que le film est le plus intéressant narrativement. Si la nature politique de l'intrigue est bien là, dans cette guerre qui charrie avec elle le spectre du colonialisme et l'enjeu écologique, elle peine à prendre corps au-delà de péripéties qui tendent à se faire quelque peu fonctionnelles, comme des passages obligées du préambule à l'éveil de Paul, celui qui amènera la fin de cet ancien monde.
Si Dune évoque Premier contact, c'est aussi pour la solennité et la magnificence presque effrayante avec laquelle le réalisateur filme ses décors et ses vaisseaux. Des pyramides brutalistes ou bunkers dépouillés qui servent de palais aux véhicules anguleux favorisant vraisemblablement la fonction à la forme, s'érigeant des océans, imposants, réduisant l'humain à l'état de nain, l'univers dépeint par Villeneuve n'est pas sans rappeler celui de son Blade Runner : un monde gris et mécanique où l'industrialisation a tué toute vie. Même les armures font des hommes des robots. Les parti-pris de direction artistique qui laissaient dubitatif face aux premières images s'avèrent donc complètement justifié et si le film serre les dents, cette théâtralité sert également le propos de Villeneuve, cinglant un empire-mausolée où le cérémonial froid a handicapé toute chaleur humaine. Malheureusement, malgré un casting cinq étoiles au diapason (notamment Chalamet, Ferguson et...Momoa!), ce choix s'accompagne d'un déficit d'émotion plutôt regrettable. La seule chose plus intimidante et redoutable que les constructions humaines dans le film, ce sont les vers de sable, filmés non pas comme un monstre de science-fiction mais davantage comme ce qu'ils sont, mi-animaux (les dents-fanons, superbe idée), représentants de la faune locale donc inévitables et véritables occupants des lieux, mi-dieux, punissant les vulgaires mortels qui osent miner leur terre. Jamais le metteur en scène ne perd de vue l'ampleur leanienne nécessitée par son récit, même dans l'action donc. Outre les apparitions des vers géants, on retiendra également cette attaque nocturne presque expressionniste où Villeneuve préfère figurer l'affront davantage par la façon dont les explosions et les flammes viennent dévorer la nuit que par des combats à l'épée, moins excitants lorsqu'ils sont montrés bien que solides. Ainsi la narration visuelle abat-elle le gros du travail en termes d'exposition et de caractérisation de l'univers, une image valant mille mots et palliant la progression laborieuse de l'intrigue. Le film se termine alors que l'on commence, à l'instar de Paul, à comprendre comment interpréter ses rêves, et achève l'impression de ne voir qu'une moitié d'histoire. En l'état, Dune n'est donc pas un slam dunk mais la créativité séduisante au service de la création d'Herbert et la mise en scène colossale offrent un voyage indéniable.