Devil’s Rejects (The)
États-Unis, 2005
De Rob Zombie
Scénario : Rob Zombie
Avec : Leslie Easterbrook, Ken Foree, William Forsythe, Sid Haig, Sheri Moon, Bill Moseley, Diamond Dallas Page
Photo : Phil Parmet
Musique : Tyler Bates
Durée : 1h48
Sortie : 19/07/2006
Après la mort de son frère, le shérif Wydell ne rêve que de vengeance. Il est prêt à tout contre la terrifiante famille Firefly, et il n'hésitera pas à outrepasser la loi. Barricadés dans leur maison, les Firefly, eux, sont décidés à lui échapper par tous les moyens. Rien ne semble pouvoir arrêter leur macabre saga. Entre les deux camps, la guerre est ouverte, et elle va s'étendre...
RIDE WITH THE DEVIL
Depuis le temps qu’on l’attendait (un an pour être précis), on avait même presque fini par croire que The Devil’s Rejects allait subir le même sort que La Maison des 1000 morts, premier film de Rob Zombie toujours inédit en salles et venant à peine de sortir en DVD zone 2 après quatre années d’échanges sous le manteau. Voilà maintenant que les distributeurs osent enfin afficher dans les salles la suite de l’un des meilleurs films d’horreur de la décennie. Curieuse manière de voir la programmation. Mais là n’est plus la question puisque ça y est, le messie filmique de l’horreur, le Saint Graal d’une tripotée de fans du genre, l’apothéose orgasmique du bizarre et du macabre débarque enfin dans nos salles obscures et ce n’est pas peu dire que l’interminable attente est plus que récompensée. Ils sont venus, ils sont tous là, Captain Spaulding, Baby et Otis, prêts à vivre une aventure plus saignante, plus explosive, plus viscérale et plus déjantée qu’avant, le tout dans un délire horrifique qui franchit les limites du premier opus. C’est dire le paroxysme de cruauté du film. Et comme si cela ne suffisait pas, Rob Zombie est allé cette fois-ci puiser ses influences dans le cinéma d’horreur des années 70, passant ainsi d’un univers grotesque à un monde crasseux, puis les a combinées et déformées à sa manière et les a pliées à sa propre créativité, nous offrant ainsi une œuvre complètement imprévisible, inclassable, étouffante et déroutante. Prêts pour une virée en enfer?
BLOOD, LUST AND DUST
Première scène: une horde de policiers sentant fermement le café et le cigarillo froid, gilets pare-balles enfilés, fusil à pompe en bandoulière, moustaches et favoris en avant et chapeaux de shérif en guise de stetson, débarquent dans une bicoque délabrée respirant la sueur, la rouille et la viande faisandée. Pourquoi sont-ils là? Tout simplement pour faire la peau à ceux que la presse a surnommé "les rejetons du diable". Le décor rural et désolé est planté, la fusillade inévitable, ça va saigner. Et c’est parti pour 1h45 de traque impitoyable. Entre western classique, gore déchaîné et tragédie shakespearienne, Rob Zombie s’en donne à cœur joie pour emmener le genre dans un univers fou, post-moderne, psycho et rock, un monde qu’il anticipe parfaitement, un territoire hors normes qu’il maîtrise de bout en bout. "La vraie vie est désordre et chaos. Dès que ça devient trop clean, on sait qu’on est au cinéma et ça ne me fait plus peur. Je voulais un style plus grossier, plus sommaire" affirme le réalisateur. Pari tenu. Tourné en super 16 avec une pellicule au grain très marqué, The Devil’s Rejects transpire la palette de couleurs sombres, poussiéreuses et ravagées des premiers films de Romero, Massacre à la tronçonneuse (auquel un brillant hommage est rendu), La Colline a des yeux de Craven, en passant par La Chevauchée fantastique ou encore La Horde sauvage. Bref un beau patchwork de références synthétisant de manière détonante les éléments traditionnels de l’horreur et des westerns peuplés de marshalls héroïques. Et ces images brutes de décoffrage, où l’on observe la saleté sur les dents et où l’on sent mieux que jamais la sueur sur les peaux brûlées par le soleil, de replacer l’œuvre dans le contexte des vieux films d’époque, quand le cinéma bis était pur et n’était pas fait pour séduire un certain public.
THE WILD BUNCH
Outre ses qualités visuelles et scénaristiques, ce qui tire le film vers la cime du genre est tout autant ses personnages que le traitement qui leur est infligé. Complexes et fascinants, le Capitaine Spaulding, Otis et Baby passent ainsi de caricatures cartoonesques effrayantes à des figures humaines soudainement et perversement réalistes. Car même si The Devil’s Rejects n’est pas une suite (dans le sens "séquelle directe" du terme) et qu’il met simplement en scène des personnages qui ont déjà connu une première aventure dans un film précédent (attention, il est tout de même préférable d’avoir vu La Maison des 1000 morts pour accepter complètement le deus ex machina final), Zombie prend pleinement le temps d’exposer le caractère ambigu de chacun de ses héros ainsi qu’une vision bien personnelle de la moralité de leur entreprise funèbre. En effet, même s’ils n’épargnent personne, ces criminels sont farouchement loyaux les uns envers les autres, observent entre eux une sorte de code d’honneur et font preuve d’un attachement solide en tant que famille. Et cette fois-ci, contrairement à toute attente, les barrières morales sont complètement atomisées. Les gens bien tournent mal et les "méchants" deviennent pires. La limite entre le bien et le mal n’est pas claire, les orientations morales complètement redéfinies. Le film exalte des protagonistes qui sont des anti-héros et même le seul personnage censé se trouver du côté de la loi et par définition du bien (énorme William Forsythe) finit par succomber à ses tendances criminelles. Son désir de vengeance prend le dessus, l’entraînant, lui aussi, dans une folie meurtrière où le "dur" qu’il est devient carrément impossible à arrêter et qui le transforme peu à peu en vrai sadique.
HIGHWAY TO HELL
Et Zombie de secouer l’ensemble dans un humour malsain et diablement efficace, de baigner son film dans une atmosphère furieuse et démente, dans un environnement quasi cabalistique sans rémission possible. En témoigne l’ultime séquence, un assaut suicide mené tambour battant sur fond de Lynyrd Skynyrd, où les flammes des armes à feu dansent en symbiose parfaite avec les rires extravagants et les regards délirants de la famille Firefly. Comme si cette dernière et ultime virée avait un effet euphorique et hallucinatoire sur les personnages, et du coup le spectateur, confondant folie ultime et fête divine. Une renaissance suprême des apôtres de l’enfer face au jugement dernier et à la rédemption fatale, une ultime chevauchée vers un point de non-retour qui, de toute façon, a déjà été dépassé et depuis bien longtemps. Et, à l’instant précis où le générique de fin démarre, on sait que le réalisateur a touché du doigt le panthéon des grands noms du genre en nous offrant, le temps d’une séance, le retour du Midnight movie que l’on n’espérait plus, un trip visuel et sonore que peu de gens auraient été capables de nous fournir, tout en laissant sa propre vision s’exprimer. On frôle le génie. Bref, si The Devil’s Rejects est un sublime hommage au cinéma d’horreur d’il y a maintenant trente ans, il ne s’agit ni plus ni moins que du meilleur film de genre depuis trente ans. Tout simplement. Enjoy the ride.