Delta
Hongrie, 2008
De Kornél Mundruczó
Scénario : Kornél Mundruczó
Avec : Orsolya Tóth
Durée : 1h32
Sortie : 04/03/2009
Un jeune homme taciturne regagne la nature isolée et sauvage du Delta, un labyrinthe de voies navigables, d'îlots et de végétation luxuriante qui coupe la population locale du reste du monde. Le jeune homme, qui avait quitté le Delta dans son enfance, y rencontre une soeur dont il ignorait l'existence. Frêle et timide, elle est pourtant résolue lorsqu'il s'agit de le rejoindre dans la hutte délabrée qu'il habite. Eloignés de tous, ils se lancent alors ensemble dans la construction d'une maison sur pilotis au milieu de la rivière. Un jour, ils invitent les gens du pays à partager un dîner, mais les villageois n'acceptent pas leur relation « contre-nature ».
LA COLERE DE DIEU
Passé à l'ombre des mastodontes dans la compétition cannoise de l'an dernier, Delta ressemblait de loin à un hôtel-club du cinéma d'auteur festivalier, une sorte de Bannissement 2008 en contemplation de l'est entre ciel et terre, pas super volubile et peuplée de plans qui prétendent chacun à la coupe lourde et clinquante du plus beau plan de la terre. Pourtant, le jeune réalisateur hongrois Kornel Mundruczo, 33 ans, cueille son monde, et ce Delta-là, contrairement au film de Zviaguintsev, n'a rien d'écrasant, plutôt la beauté pure et brute d'un récit biblique, frère et soeur à la recherche de leur paradis perdu, entourés de tortues et de grenouilles flottant près du rivage tandis que l'orage se déchaîne. Mundruczo manie ses ambiguités comme autant de reflets dans l'eau: beau Danube bleu qui gronde de colère, inceste en plus vertueux des amours, dans un no man's land qui tient la société à distance, à peine un ponton de bois et une barrière végétale comme seul rempart.
Sauvage, telle sa nature en berceau magnifié, ce viol vu de loin mais glaçant pourtant, ce refus des bonnes moeurs et du jugement de la communauté: Delta, hors du temps, tire sa beauté solaire de ses sentiments indomptables, avec une poésie qui rappelle le meilleur de Kim Ki-duk - ses passions muettes, sa violence insensée et ses histoires d'eau dans cette rhapsodie hongroise et conte cruel de jeunesse sortis du manteau de Bela Tarr. Delta, fable hypnotique à fleur de peau, permet la révélation magnifique d'un cinéaste encore méconnu, qui peint avec autant d'inspiration une procession funéraire fluviale, d'une puissance incroyable, qu'une trace désolée qui dérive lentement, lorsque le tumulte s'est éteint.
En savoir plus
Kornel Mundruczo, un des chefs de file de la nouvelle génération du cinéma magyar, est né en 1975 à Budapest. Il a été remarqué dès son premier long, Pleasant Days, primé à Locarno en 2002, et s’est déjà promené sur la Croisette, grâce à Little Apocrypha n°2 (Cinéfondation), Joan of Arc on a Night Bus (compétition courts de la Quinzaine des réalisateurs) et Johanna (Un Certain Regard). Delta, son troisième film, a eu un accouchement difficile, tourné en deux fois après le décès de son acteur, Lajos Bertok. Mundruczo dit s’être inspiré, pour son récit, d’Hamlet de Shakespeare et d’Electre d’Euripide. Un an après la présentation de L’Homme de Londres, de Bela Tarr, le cinéma hongrois partait à nouveau en quête d’une première Palme d’or, Delta a finalement le prix de la critique internationale.