Crosswind - La croisée des vents
Risttuules
Estonie, 2014
De Martti Helde
Scénario : Martti Helde, Liis Nimik
Durée : 1h27
Sortie : 11/03/2015
Le 14 juin 1941, les familles estoniennes sont chassées de leurs foyers, sur ordre de Staline. Erna, une jeune mère de famille, est envoyée en Sibérie avec sa petite fille, loin de son mari. Durant 15 ans, elle lui écrira pour lui raconter la peur, la faim, la solitude, sans jamais perdre l’espoir de le retrouver.
PORTRAIT AU CRÉPUSCULE
Il fallait un certain culot à l'Estonien Martti Helde (lire notre entretien), 23 ans au début du tournage, pour réaliser un film tel que Crosswind - la croisée des vents. Car au-delà du tabou bravé (Crosswind est le premier film réalisé sur la déportation estonienne durant la Seconde Guerre Mondiale), Helde relève un pari formel et narratif peu commun. Crosswind, entièrement raconté en voix-off, se base sur des lettres de prisonniers, essentiellement celles d'une femme qui a inspiré le rôle principal. Comment rendre compte de ses souvenirs ? Comment représenter sa douleur ainsi que celle des autres victimes ? Les souvenirs de Crosswind sont comme des photos figées dans le temps - littéralement, car la caméra effectue une déambulation hantée parmi des personnages immobiles. Une sorte de bullet-time permanent mais sans effets spéciaux, entièrement chorégraphié sur le tournage. De même qu'il n'y a pas de mot, entend-on, pour désigner la mère qui perd son enfant, on a le sentiment en voyant Crosswind qu'il n'y avait pas d'autres manières de traiter de ce traumatisme : à la fois la distance de la voix-off, celle du noir et blanc, celle de la vieille photographie ; et un artifice qui paradoxalement permet de ressentir au plus près la détresse des personnages.
Les lettres lues et les mouvements reptiliens de la caméra installent un courant de conscience : l'histoire d'Erna est aussi celle des autres détenus et victimes. Helde et son directeur de la photographie ont le sens du détails: les souvenirs heureux sont immortalisés, séchés par la lumière blanche des murs de la maison et des pétales de fleurs. Cette même lumière qui donne au wagon la terrible allure d'un chaudron menant les familles brisées à leur perte. La caméra est parfois elle-même aveuglée par le soleil. La qualité picturale de Crosswind impressionne régulièrement, même si, seule vraie limite du film, le procédé répétitif prive quelque peu le récit de relief. Helde se rattrape par sa poésie et sa sensibilité. On pense, par exemple, à ces images de bois désolés et de tas de chaussures recouvertes par un souffle, un bruit d'air qui semble d'abord abstrait, et qui psalmodient les noms des victimes dont le film raconte l'histoire.