Chronicle
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États-Unis, 2011
De Josh Trank
Scénario : Max Landis, Josh Trank
Avec : Dane DeHaan, Michael B. Jordan, Alex Russell
Photo : Matthew Jensen
Durée : 1h24
Sortie : 22/02/2012
Après avoir été en contact avec une mystérieuse substance, trois lycéens se découvrent des super-pouvoirs. La chronique de leur vie qu’ils tenaient sur les réseaux sociaux n’a désormais plus rien d’ordinaire… D’abord tentés d’utiliser leurs nouveaux pouvoirs pour jouer des tours à leurs proches, ils vont vite prendre la mesure de ce qui leur est possible. Leurs fabuleuses aptitudes les entraînent chaque jour un peu plus au-delà de tout ce qu’ils auraient pu imaginer. Leur sentiment de puissance et d’immortalité va rapidement les pousser à s’interroger sur les limites qu’ils doivent s’imposer… ou pas !
BE KIND REWIND
Andrew est un adolescent renfermé, limite freak, coincé entre une mère malade, un père chômeur et alcoolique et des camarades qui le méprisent ; il filme tout ce qui l'entoure autant pour s'amuser que pour mettre une barrière entre lui et les autres. Un soir, avec son cousin et un ami, il se retrouve exposé à des radiations émanant d'un corps étranger gisant au fond d'un trou, et très vite, ils commencent tous les trois à développer un pouvoir télékinésique qui leur permet d'agir sur leur environnement ; un pouvoir avec lequel Andrew est particulièrement à l'aise, mais qui n'est pas vraiment compatible avec sa personnalité.
De l'alléchant trailer dévoilé cet automne, aux silhouettes aperçues cette semaine dans le ciel new-yorkais, le buzz autour de Chronicle n'en finit pas de monter en puissance... N'y allons pas par quatre chemins, le long-métrage de Josh Trank est plutôt réussi, bourré d'idées et de scènes réellement scotchantes.
Sa première qualité est de proposer des personnages qui tranchent avec l'archétype du jock hollywoodien qui roule en décapotable et fait de la figuration sur un campus géant ; Andrew, Matt et Steve sont des ados tout ce qu'il y a de plus banals, qui vivent dans la grisaille de Portland, fréquentent un college basique, et qui existent en même pas cinq plans grâce à des acteurs on ne peut plus naturels. Il en est de même pour leur développement, qui emprunte aussi un chemin différent de celui auquel on nous a habitué ; après l'"accident", ils testent leurs nouveaux pouvoirs, jouent, font des farces, mais ne se tourmentent pas avec des "great power, great responsibilities". Leurs pouvoirs leur renvoient une nouvelle image d'eux-mêmes, agissent comme un révélateur, mais ne les transforment pas en super-héros. Et s'il y a un parallèle à faire, c'est plutôt du côté de la série Misfits, et d'Akira que de Spider-man qu'il faut aller chercher, le personnage d'Andrew n'étant pas sans rappeler un certain Tetsuo. Incarné par le jeune Dane DeHaan, découvert dans le vivier In Treatment, Andrew est un personnage tragique, pétri de douleur, de frustration et de colère rentrée, et Chronicle est avant tout son histoire ; ou comment un jeune homme émotionnellement instable soudain doté de pouvoirs phénoménaux, n'en reste pas moins prisonnier de sa propre nature, et ne réalise pas qu’il ne filme rien d'autre que l’histoire de son propre échec.
Mais si l'idée est intéressante, c'est aussi dans ce procédé que réside la principale limite du film, tant l'aspect found footage tient très vite de la fausse bonne idée. Popularisé par le carton du Projet Blair Witch, le found footage, qui trouve ses racines dans Cannibal Holocaust, est désormais un genre cinématographique à part entière, dans lequel l'intégralité ou une partie du métrage est présentée comme provenant d'un ou plusieurs dispositifs d'enregistrement appartenant aux protagonistes. Passés les tout premiers plans, où la caméra à la première personne est justifiée à la va-vite par Andrew, qui lance une phrase du genre "à partir de maintenant, j'ai décidé de tout filmer", l'utilisation de ce procédé s'avère payante, en ce qu'il crée de suite une véritable identification, une connexion émotionnelle entre lui et nous, qui fonctionne du tonnerre jusqu'à la scène du tunnel. Puis, il faut quand même un petit saut de foi pour gober le passage d'une caméra à l'autre, et un autre encore plus important lorsqu'Andrew utilise son pouvoir télékinétique pour faire virevolter sa caméra autour de lui ; l'effet est bien sûr efficace, élégant, mais qu'il obtienne ainsi des mouvements d'appareil fluides et un cadrage impeccable à la Garrett Brown est hautement improbable, et commence à fissurer l'aspect amateur du métrage. Quand apparaît le personnage de la blogueuse, dont le seul intérêt semble être de combler les blancs, là où une ellipse eût été cent fois plus efficace, la suspension d'incrédulité commence à gentiment vaciller, pour voler en miettes dans les vingt dernières minutes.
Le found footage est un exercice périlleux, mais totalement gérable, à condition d'avoir une intrigue qui s'y prête sur la durée, doublée d'une rigueur sans faille - revoir à ce titre l'exemplaire Cloverfield. Ici, c'est très efficace pendant trois quarts d'heures, au terme desquels Josh Trank aurait mieux fait de revenir discrètement à une mise-en-scène traditionnelle qui lui aurait évité d'avoir l'air de ramer comme un fou pour terminer son film sur le même pied… Et il suffit de repenser à la césure invisible opérée par Neil Blomkamp lorsque le documentaire laisse place à la fiction dans l'inégalable District 9 pour s'en convaincre. En l'état Chronicle demeure un divertissement haut de gamme, blindé de scènes spectaculaires, à la fois vertigineuses et jouissives, bénéficiant d'une réelle qualité d'écriture et d'effets spéciaux classieux qui ne trahissent en rien son petit budget. Et si le procédé filmique ne tient pas toutes ses promesses sur la longueur, gageons que Josh Trank saura corriger ses erreurs dans le futur Chronicles, que semble annoncer une fin joliment ouverte.
Olivier Sarrazin
