Berlinale : Flocking
Dans un village suédois où tous les habitants se connaissent, Jennifer accuse l'un de ses camarades de classes de l'avoir violée. Tout le monde réagit comme si c'était elle la coupable...
UNE AFFAIRE DE FEMMES
Dans Flocking, une jeune fille accuse un camarade de classe de l’avoir violée, et personne ne la croit, à tel point qu’elle se retrouve pointée du doigt pour avoir osé porter une accusation aussi grave. Toute ressemblance avec des faits réels est loin d’être fortuite, puisque c’est la double peine intrinsèque aux affaires de viols, qui restent hélas le plus souvent impossibles à prouver. Mais Flocking n’est pas un dossier de l’écran, c’est du cinéma. Du cinéma avec des idées, mais surtout du cinéma tendu qui fait serrer les poings sur les accoudoirs. Pour faire un parallèle scandinave, on pourrait trouver dans le parcours du combattant de Jennifer comme un écho de celui du héros de La Chasse, injustement accusé de pédophilie. La communauté dans laquelle vit Jennifer n’est pas très différente. Sous des airs civilisés de village où tout le monde se connait, rien n’y est autant respecté que l’apparence de cohésion et d’entente. Le crime de Jennifer est avant tout d’oser y faire des vagues. Mais pas seulement.
La première bonne idée de Flocking est de ne pas montrer la scène de viol, ne confirmant ainsi jamais au spectateur qu’il a bel et bien eu lieu. Mais attention, cela n’a pas pour but de faire naître un suspens de mauvais goût autour de Jennifer (« et si finalement, c’était bien une sale menteuse ?»), mais au contraire de placer le spectateur dans une position inconfortable mais intransigeante : nul ne sait si elle dit la vérité, raison de plus pour l’écouter. L’écouter, c’est pourtant ce qu’aucun des personnages ne fait. Pour eux, l’affaire est pliée : l’accusé est un brave garçon populaire et sans histoire, tandis qu’elle est presque une marginale. A ce titre, la première réaction de la mère de l’accusé (personnage à filer des cauchemars) est glaçante : elle pardonne à Jennifer ses mensonges et propose de passer l’éponge… à coup de câlin. L’éprouvante suite des évènements prête moins à sourire. Reprocher à Flocking l’éventuel manque d’originalité de son récit est un procès risqué et dangereux, car la violence et l’injustice de ce genre d’affaire ne connaissent pas de sourdine possible, et ne méritent pas de fausse pudeur hypocrite. Si cette histoire donne l’impression d’avoir déjà été vue au cinéma, Flocking se distingue par un mélange de puissance et de subtilité, et surtout par les pièges qu’il évite. D’abord, Jennifer n’est pas un martyr ou une héroïne parfaite mais un personnage nuancé. Ensuite, la réalisatrice a la très bonne idée de s’intéresser autant à elle qu’à son violeur potentiel, personnage mutique fascinant dont on ne sait s’il est hébété par le remord ou par l’injustice de l’accusation.
Il est assez remarquable (logique? Ironique?) de voir un tel film provenir de Suède. Les affaires de viols n’y sont pas différentes d’ailleurs mais la haute place donnée aux femmes dans l’espace médiatique peut leur donner un écho inattendu. On se rappelle par exemple d’une des ramifications de l’affaire Snowden : l’activiste américain s’était vu accusé de viol par une jeune suédoise. L’absence de consentement prend une définition plus large dans la loi suédoise qu’ailleurs, la controverse qui en était née avait donné lieu à un débat national parfois violent sur les excès supposés du féminisme à la suédoise. La Suède de Flocking semble privée de pères. Ces derniers sont absents ou démissionnaires, et à l’inverse des règles cinématographiques du rape and revenge, ce sont ici les femmes qui vengent les honneurs de leurs enfants. Comble de l’égalité des sexes : elles y échouent tout autant que les hommes. Pas de happy end possible. Ici, dès le début, tout le monde est perdant.