Bande de filles
France, 2014
De Céline Sciamma
Scénario : Céline Sciamma
Durée : 1h51
Sortie : 22/10/2014
Marieme vit ses quinze ans comme une succession d’interdits. La censure du quartier, la loi des garçons, l’impasse de l’école. Sa rencontre avec une bande de filles affranchies change tout. Elle embrasse les codes de la rue, la violence, l’amitié, pour vivre sa jeunesse...
N°1 DANS MA VILLE
Lors du discours d'ouverture de la Quinzaine des Réalisateurs, Céline Sciamma, réalisatrice de Bande de filles, a évoqué la place spéciale réservée au film au sein de cette sélection. Il est comme l'a indiqué Sciamma beaucoup question de place dans Bande de filles: la place qu'on vous donne, celle où l'on vous met, celle qu'on prend. Les héroïnes de Céline Sciamma, en premier lieu celle de Tomboy, n'attendent plus et agissent. Ce qui n'était encore que le jeu d'un été dans le précédent film de la cinéaste devient un combat quotidien dans Bande de fille, qui s'ouvre par une superbe séquence rentre-dedans de foot américain où les armures et les casques sont portés... par des filles. Cut. Nous découvrons Marieme, héroïne du film, à qui l'on propose un CAP qui l'ennuie - elle veut aller au lycée "comme tout le monde". C'est peut-être la dernière fois du film qu'on la voit exprimer ce désir puisque les filles de Bande de filles n'ont souvent d'autre choix que d'être "contre" et de former un contre-pouvoir: elles ne sont pas comme "tout le monde".
Vous n'avez jamais vu les héroïnes de Bande de filles dans un autre film français (voire au-delà). Cherchez bien, vous n'en trouverez pas. Tout d'abord parce que les jeunes héroïnes noires dans le cinéma français sont aussi rares que des licornes. Surtout, parce que jamais auparavant on a assisté à une telle immersion chez ces meufs qui font chier le monde en écoutant la musique de leur téléphone portable trop fort dans le métro, qui se toisent comme des coqs d'un quai à l'autre après avoir tiré des robes au H&M du coin. Des garces ? Pas du tout. Sciamma passe son temps à les célébrer d'une manière à la fois extravagante et kitsch (les filles ont de l'attitude et posent comme si elles jouaient dans un clip de Destiny's Child) et pourtant bouleversante: une séquence assez simple sur un tube pop rappelle l'effet réussi par Harmony Korine sur Britney Spears dans Spring Breakers: là où Korine filmait la ballade cheesy de Britney comme un crève-coeur premier degré pour ses héroïnes futiles, Sciamma célèbre ses filles comme des divas r'n'b qui brillent comme un diamant.
Pour ce faire, la réalisatrice évite la facilité de la caméra portée, qu'on aurait vu dans n'importe quel autre film urbain à vif. On contemple Marieme, Lady et leurs amies, et c'est ce que Sciamma veut. C'est un geste politique: elles ne sont jamais traitées comme ça. Elles sont des Amazones qui s'affrontent comme des gladiateurs, le terrain vague est un Colisée, elles se donnent un autre nom (de déesse) et lorsqu'elles chutent, telles des créatures mythologiques, on leur coupe leurs cheveux en punition. La réalité peut être plus triviale. Quel horizon pour Marieme qui voit sa mère récurer les toilettes des 4 Temps ? Au-delà de ça, quel horizon pour une petite meuf dans la cité ? La pression des mecs est quotidienne, des sifflets aux claques dans la gueule, une brutalité de tous les jours qui fait vaciller jusqu'à se nier. La violence se transmet et les filles parfois se l'infligent: elles sont du mauvais sexe et "t'es une vraie meuf" semble être l'insulte ultime des beaufs et grands frères.
Dans son dernier quart, le film patine quelque peu avec un décrochage scénaristique moins convaincant. Mais l'essentiel est qu'on ne perde pas le fil de Marieme. Qu'on ne s'arrête pas aux larmes mais que, jusqu'au bout, on donne à voir un modèle à celles qui en ont été privées, et qui reste fière du premier au dernier plan. L'immersion est intense, passionnante, épuisante, pas sans défaut, mais voilà du cinéma qui donne tout ce qu'il a. On est fier de faire partie de cette bande de filles-là.