Publié le 13/02/2008

BERLINALE 2008: sixième jour

Bam Gua Nat-Day and Night de Hong Sangsoo
Sungnam débarque à Paris avec armes et bagages afin de fuir son pays, la Corée, où il est poursuivi pour avoir fumé de la marijuana lors d’une réception. Le célèbre peintre a du partir précipitamment abandonnant sa femme au pays. Il trouve refuge dans une pension tenue par un Coréen et passe son temps à flâner le long des rues où il tombe incidemment sur une ex-flamme, ce qui va ne l’intéresser qu’un temps. Toutes ses pensées vont à sa femme, qui est loin et lui manque. Par l’intermédiaire du patron de la pension, il rencontre Hyunjoo, une étudiante coréenne, mais aussi et surtout sa colocataire Yujeong dont, au fil des jours, il tombe éperdument amoureux.
Bam Gua Nat était à l’origine l’histoire de deux personnes qui n’ont pour seul contact que les appels longue distance quotidiens. Séparées par des milliers de kilomètres, par le jour et la nuit. Puis le réalisateur décide de s’intéresser à cet homme obligé de fuir son foyer pour une raison ridicule et qui à des milliers de kilomètres de celle qu’il aime, la cherche et se cherche au fil de rencontres. Sungnam se retrouve à Paris, dans la société coréenne de la capitale et essaye de trouver un chemin qui va non seulement lui permettre de savoir où il en est mais également de revenir près de celle qu’il aime. Le film est raconté à la première personne par la voix intérieure de Sungnam et est rythmé par les jours qui passent, représentés à l’écran par un tableau avec différentes dates s’étalant sur deux mois et demi. La grande force du métrage est son acteur principal, Kim Youngho, qui possède un vrai talent comique. Malheureusement le film s’étire en longueurs et le scénario ne justifie en rien 145 minutes, tant et si bien que le spectateur en vient à espérer une fin qui ne vient toujours pas. D’autant plus quand, dans la dernière partie du film, le réalisateur ajoute une bien inutile pointe de confusion.


Happy-Go-Lucky de Mike Leigh
Poppy est une jeune institutrice vivant à Londres dans un appartement qu’elle partage avec sa meilleure amie. Son vélo venant d’être volé, elle décide de prendre des leçons de conduite avec un instructeur qui semble avoir quelques problèmes à régler avec la vie. Polly a, elle, décidé de la prendre du bon côté et traverse chaque situation avec beaucoup de charme et de spontanéité. Une attitude qui pourrait la faire passer pour une superficielle écervelée à moins qu’il ne s’agisse d’une carapace pour se protéger.
Merci Mike Leigh ! Happy-Go-Lucky est non seulement une belle leçon de vie, que chacun devrait regarder à défaut d’en tirer profit, mais il est également furieusement drôle. Le réalisateur ne donne pas de leçon, il explique à travers le personnage de Poppy qu’il existe une manière d’appréhender la vie : avec légèreté, spontanéité, en prenant chaque jour comme il vient et essayant d’être ouvert afin de profiter des opportunités de l’existence. Mais il montre également que tout le monde n’a pas les mêmes chances de parvenir à cette attitude. A travers les rencontres que fait Polly, il explique que c’est une question de choix et de combat mais également que l’éducation reçue et les événements survenant pendant l’enfance peuvent influencer de manière négative le comportement à venir. Comme le lui dit si bien sa colocataire, Polly ne peut pas rendre tous les gens heureux et elle viendra à le réaliser au cours du film. Sally Hawkins est une incroyable Polly, feu-folet à l’indécrochable sourire et aux tenues flamboyantes mais avec également au fond des yeux une gravité et des doutes qui contrastent avec son attitude désinvolte et rendent le personnage très humain et attachant.


Standard Operating Procedure de Errol Morris
A la suite de la guerre en Iraq des membres de la police militaire américaine et des services secrets ont torturé et humilié des prisonniers détenus dans la prison iraquienne d’Abu Ghraib. Le documentaire essaye de faire la lumière sur le scandale qui a fait la une des journaux en 2004 quand des photos et autres vidéos prises pendant les séances de tortures furent publiées.
Errol Morris a gagné un Oscar pour son documentaire Fog of War et pourrait bien repartir de Berlin avec une récompense pour son nouvel opus. En effet, non content de mettre en lumière des faits pour le moins édifiants, il possède un indéniable talent de mise en scène pour le faire. C’est en se servant d’interviews de membres de la police militaire (notamment l’ex-soldat England dont la photo sur laquelle elle tient en laisse un prisonnier allongé sur le sol est sûrement encore dans toutes les mémoires), de reconstitution des faits, des innombrables photos prises, de lettres écrites et d’extraits des vidéos qu’il reconstitue le puzzle à la manière d’un saisissant thriller. Difficile en effet d’imaginer que les évènements relatés ne sont pas une fiction. Tout comme il est difficile de croire les excuses prononcées dans les interviews quand les yeux racontent un autre message et que les sourires sonnent faux. Contrairement à un Michael Moore, Errol Morris n’essaye pas d’imposer son point de vue au spectateur mais lui donne tous les éléments en sa possession afin qu’il se fasse sa propre opinion. Peut-être effectivement qu’en temps de guerre la pression quotidienne peut pousser n’importe quelle personne au pire. Il est certain que l’amour rend aveugle et que les ordres sont les ordres. Mais est-ce que cela justifie les sourires et la bonne humeur manifeste affichés sur les photos ? Est-ce que pousser des hommes à se masturber ou à s’empiler nus les uns sur les autres va les faire avouer de potentiels crimes plus vite ? Le plus choquant étant encore à venir, car lors du jugement, faire mordre un homme attaché par un chien policier fut considéré comme un acte criminel, mais le crucifier nu et cagoulé aux grilles de sa cellule est par contre estampillé procédure normale (le S.O.P du titre du film). Un autre exemple ? Forcer un homme à se masturber devant autrui est un acte criminel mais le cagouler et le mettre debout sur une caisse les deux mains raccordées à du courant électrique avec la pression permanente qu’il risque de recevoir une décharge est également classé S.O.P. God bless America !


Au programme demain: Kabei de Yoji Yamada, Caos Calmo de Antonello Grimaldi et l’arrivée de la France dans la compétition avec Lady Jane de Robert Guédiguian.

par Carine Filloux

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