Publié le 14/02/2008

BERLINALE 2008: septième jour

Kabei de Yoji Yamada
Tokyo 1940. Shigeru est suspecté par la police de propager des idées antipatriotiques et est mis aux arrêts. Sa femme Kayo reste seule avec leurs deux filles dans leur modeste foyer. La situation politique allant en se dégradant la vie devient difficile mais Kayo fait en sorte de maintenir un équilibre pour ses deux filles, elle y est aidée par sa sœur, puis par un ancien étudiant de son mari qui devient un précieux soutien pour la famille.
Yoji Yamada est présent pour la troisième fois en compétition à Berlin, la dernière fois étant en 2005 pour The Hidden Blade. Kabei est un appel à la paix. A travers le destin de cette famille brisée par la guerre du Pacifique le réalisateur adresse ses pensées à toutes les personnes que la guerre a blessées dans leur chair et surtout à celles qui souffrent actuellement à cause d’elle. C’est à travers les yeux de la plus jeune des enfants de Kayo que les tragiques évènements sont racontés. Le titre du film est en fait le surnom affectif que lui ont donné les membres de sa famille. Le réalisateur conte une histoire simple, celle de cette vie de famille bouleversée du jour au lendemain par la guerre qui menace et dresse le portrait de cette mère qui avec beaucoup de courage fait face à l’absence de son mari. Les jours passent, rythmés par les repas, et l’attente s’installe durablement dans le quotidien tout comme la photo de Shigeru sur la table, là où il avait l’habitude de s’asseoir. Une histoire simple mais forte et émouvante qui fait réaliser au spectateur à quel point le bonheur est fragile et simple à détruire. A l’époque de la surenchère des effets spéciaux, le film de Yoji Yamada prouve que l’efficacité et l’intérêt du spectateur peuvent aussi être atteints sans sortir la grosse artillerie. Seul faux pas du réalisateur, l’épilogue situé dans le futur qui n’apporte rien de nouveau à l’histoire.


Caos Calmo - Quiet Chaos de Antonello Grimaldi
Pietro et son frère jouent aux raquettes sur la plage lorsque des appels aux secours retentissent. N’écoutant que leur courage, ils se précipitent pour sauver deux femmes de la noyade. Alors que plus tard ils sont de retour, c’est pour découvrir que Laura, la femme de Pietro, git sur le sol de la terrasse, morte. Fou de douleur Pietro reporte toute son attention sur Claudia, sa fille de dix ans. Un jour, après l’avoir emmenée à l’école, il décide de rester dans le parc avoisinant jusqu’à la sortie. Une attitude qui va se répéter chaque jour provoquant la stupeur autour de lui, que ce soit dans son cercle ou dans celui des habitués du parc.
Le film d’Antonio Luigi Grimaldi est basé sur le roman éponyme de Sandro Veronesi et repose sur un casting de choix avec Nanni Moretti (qui a également participé à l’écriture du scénario), Valéria Golino, Isabella Ferrari, Alessandro Gassman, Hippolyte Girardot, Denis Podalydès, Charles Berling et un caméo du réalisateur Roman Polanski. Le programme de la compétition est décidément friand en situation de deuil cette année mais la bonne nouvelle c’est que chaque réalisateur la met en scène de manière différente. Antonio Luigi Grimaldi a choisi un chaos silencieux, celui qui est entré dans le cœur de Pietro le jour où sa femme est morte. Celui-ci s’éloigne de sa vie pour mieux la retrouver. Il prend possession de ce parc comme il prend possession de son deuil, jour après jour. Le choc est trop violent pour qu’il puisse en comprendre tout de suite la signification même si son monde n’est déjà plus le même. Pietro est incarné par le réalisateur/acteur italien Nanni Moretti, qui donne une touchante performance de cet homme en perte de contact avec ses sentiments, qui fait le bilan de sa vie à travers des listes, qui abandonne tout pour être avec sa fille, à travers qui sa femme est en partie encore en vie, et grâce à l’amour de laquelle il va pouvoir revenir dans la vie.


Lady Jane de Robert Guédiguian
Muriel, François et René ont grandi ensemble dans un quartier pauvre de Marseille. Truands à la petite semaine ils se sont retrouvés en prison après le meurtre d’un joailler dans un parking et se sont ensuite perdus de vue. Il y a quinze ans de cela. Or le fils de Muriel vient d’être enlevé et le ravisseur lui réclame 200.000 Euros. Ne sachant que faire elle décide de recontacter ses deux amis afin de rassembler l’argent de la rançon.
Robert Guédiguian est présent pour la seconde fois en compétition après Le Promeneur du Champ de Mars il y a deux ans (le seul de ses quinze films tourné sans Ariane Ascaride et Gérard Meylan). Jean-Pierre Darroussin est lui aussi un vieil ami de la famille avec cette douzième participation à un métrage du réalisateur. Lady Jane est un film noir, violent et sans concession, servi par un formidable trio d’acteurs. L’avertissement vient à la fin du film : toute personne cherchant à sa venger est comme une mouche collée sur une vitre alors que la porte est grande ouverte. La vengeance est un plat qui se mange froid et qui se transmet de génération en génération jusqu’à ce que quelqu’un décide d’arrêter le cycle infernal. Un film noir mais au format réaliste, sans les clichés du genre, plutôt une manière de décrire le désarroi des personnages aujourd’hui dans une société qui est en crise. Car la revanche ce n’est pas seulement celle des personnages, c’est aussi celle instrumentalisée par les Etats afin de pousser les peuples les uns contre les autres au lieu de les protéger de ce réflexe mécanique de rendre la pareille. Illustrée dans le film par l’exemple du conflit israélo-palestinien. Ici les personnages sont proches du spectateur, ce pourrait être des gens du voisinage. Muriel (Ariane Ascaride) n’est pas sympathique mais elle est bouleversante. François (Jean-Pierre Darroussin) est rongé par un feu intérieur qui s’est transformé en braise au cours des quinze dernières années, à qui le retour de Muriel donne un second souffle, qui finira par le consumer entièrement. René (Gérard Meylan) est le plus serein des trois. Il sait que le temps a passé et qu’il n’y a pas de retour en arrière mais il fait corps et répond lui aussi à l’appel à l’aide de Muriel. Robert Guédiguian a bien compris sa responsabilité de réalisateur et quelle fonction pédagogique son film peut avoir. Ainsi, l’extrême violence utilisée est revendiquée et a pour but de choquer afin de montrer les conséquences de tout acte de revanche. Le film se concluant sur une note des plus amères.


Avant dernier jour de la compétition demain avec Feuerherz de Luigi Falorni, Deux soeurs pour un roi de Justin Chadwick et Il y a longtemps que je t’aime de Philippe Claudel.

par Carine Filloux

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