Avant que nous disparaissions
Sanpo suru shinryakusha
Japon, 2017
De Kiyoshi Kurosawa
Durée : 2h09
Sortie : 14/03/2018
Alors que Narumi et son mari Shinji traversent une mauvaise passe, Shinji disparaît soudainement et revient quelques jours plus tard, complètement transformé. Il semble être devenu un homme différent, tendre et attentionné. Au même moment, une famille est brutalement assassinée et de curieux phénomènes se produisent en ville. Le journaliste Sakurai va mener l’enquête sur cette mystérieuse affaire.
TOUT DOIT DISPARAÎTRE
Comas, évanouissements, disparitions - le cinéma de Kiyoshi Kurosawa (et plus particulièrement son cinéma de fantômes) est peuplé de personnages au bord du précipice, sur le point de s'effacer telles les traces aux murs de Kaïro, et semble parfaitement résumé par le titre de son dernier long métrage : Avant que nous disparaissions. Adapté d'une pièce de théâtre, Avant que nous disparaissions est cette fois une œuvre de science-fiction par un cinéaste qui, depuis dix ans, cumule les coups de volant dans son imprévisible filmographie : film noir et hanté (Rétribution), drame familial (Tokyo Sonata), série télévisée (Shokuzai), fantastique et merveilleux (Real), projet alternatif et transgenre (Seventh Code), romance fantôme (Vers l'autre rive), thriller zinzin (Creepy) et curieuse greffe française de ses films de spectres (Le Secret de la chambre noire). Privé de cinéma entre 2008 et 2013, Kurosawa depuis ne s'arrête plus. Et ce n'est pas innocent si l'une des premières scènes de Avant que nous disparaissions montre un formidable carambolage.
Avant que nous disparaissions pourrait être une transposition SF lugubre de ses thrillers passés : la scène d'ouverture superbe, sanglante et intranquille, pourrait avoir lieu il y a vingt ans dans Cure. Mais très vite, la musique en contre-pied donne un indice. L'une des héroïnes, sur le visage de laquelle s'affiche un large sourire tandis que le chaos règne dans son dos en fournit un autre. Kurosawa explique que la dimension parodique, présente dans la pièce, des films d'invasion extraterrestre des années 50, est un des éléments qui l'ont motivé à réaliser ce film. Ces longs métrages parlaient de l'anxiété mondiale liée à la guerre froide, une anxiété mondiale face au désastre planétaire qui semble tout à fait d'actualité aujourd'hui. Face à l'imminente catastrophe, Kurosawa signe certes un vrai film de SF (ses aliens, sa paranoïa, son imagerie) mais aussi une farce bouffonne complètement déjantée. Très vite, les humains zombifiés ressemblent à des pantins de slapstick qui passent leur temps à s'étaler dans les fourrés. Les propos sont incohérents, les discussions ubuesques, dans une accumulation qui fait basculer le film dans un absurde surréalisme : l'anxiété rend fou, elle contamine tout le monde – cela pourrait être dramatique mais aussi dramatiquement drôle.
Ce grain de folie gouverne tout le long métrage, l'un des plus dingos de son auteur. Il y avait déjà un ton farceur dans Seventh Code ou Creepy, celui-ci est démultiplié dans Avant que nous disparaissions. Mais cela n'empêche pas le maître de prendre les choses – et le cinéma en particulier – au sérieux. Encore une fois, la géniale directrice de la photographie Akiko Ashizawa fait des merveilles avec cette image à la douceur trompeuse, aux couleurs délicieuses : c'est un drame, c'est aussi une fantaisie et tout est surréel. Comme cet impressionnant coucher de soleil qui fait défiler mille couleurs sur le visage de l'héroïne. Comme ce ciel qui devient rouge sang lors du climax. Avant que nous disparaissions est un nouvel écrin pour le formidable art de la mise en scène de Kurosawa. Et finalement, s'invite cette question archétypale dans son cinéma : qu'est-ce qui constitue les humains ? Qu'est-ce qui les différencie d'un fantôme ? Le poids de l'interrogation n'empêche pas d'être joueur. Et malgré ses problèmes de rythme, le film est un réjouissant ride particulièrement ludique, surprenant et généreux.