Alps

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Alps
Grèce, 2011
De Yorgos Lanthimos
Scénario : Yorgos Lanthimos
Durée : 1h33
Sortie : 27/03/2013
Note FilmDeCulte : ****--
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Une infirmière de nuit fournit des services bien particuliers aux familles qui ont perdu leurs proches. Cette infirmière appartient à une mystérieuse communauté, les Alps, dont les membres remplacent, en échange d'un salaire, les gens qui viennent de décéder auprès de leurs familles.

PETITS ARRANGEMENTS AVEC LES MORTS

Enfin distribué chez nous plus d’un an et demi après sa présentation à la Mostra de Venise, le nouveau film de Yorgos Lanthimos était attendu avec une impatience certaine. Grâce à son pitch en or bien sûr (des familles endeuillées engagent des comédiens amateurs pour remplacer les personnes disparues), mais pas seulement. Quel autre film que Canine et son incroyable parcours (de sa révélation à Cannes à son improbable nomination aux Oscars), peut se vanter d’avoir braqué les projecteurs sur un pays à la cinématographie oubliée ? D’avoir, dans son sillage, révélé toute une mini-génération de réalisateurs, scénaristes et comédiens partageant un goût pour le jonglage entre absurde et rigueur, formant un nouveau paysage grec insolite et passionnant ?

Des fleurs que l’on surnomme zombie, des chatons vus comme des monstres affamés, et bientôt des humains contraints à se réincarner en animaux (dans son prochain projet) : l’absurdité de l’univers de Yorgos Lanthimos crève l’écran. Mais elle n’a de frivole ou d’arbitraire que les apparences, chaque trouvaille (et ses films en regorgent) constituant un pas assuré d’équilibriste sur la frontière entre le comique et l’inquiétant. Les chatons en question finissent en effet dépecés, et l’on n’hésite pas à s’arracher les dents pour mieux se sentir exister : chez Lanthimos on a du sang sur les mains au sens propre et figuré, et derrière l’humour, la folie guette à chaque détour du quotidien. A tel point qu’on croit connaître à l’avance cette abracadabrante histoire où les vivants prennent la place des morts. Et pourtant on est surpris d’être surpris par Alps. Tant mieux.

La première surprise est esthétique. La lumière qui baignait Canine laisse place à une palette délavée, comme un reflet monotone du vide dans lequel baignent ces personnages complètement paumés. Comme ses compatriotes, Lanthimos dépeint des personnages en marge de leur société, déconnectés au point qu'ils n’existent que quand ils jouent un rôle (l’enfant rentrant en transe dans Canine, les danses d’Attenberg, le motard dealer de L). Les membres de cette improbable société secrète de comédiens sont effacés, clandestins et pour tout dire plus neurasthéniques que les morts. Et c’est précisément en jouant avec ambiguïté et humour sur ce côté pathétique que Lanthimos bâtit les meilleures scènes du film. Si les performances de ces remplaçants sont aussi comiques, c’est tout simplement que ces hommes et femmes jouent très mal leur nouveau rôle, avec un amateurisme hilarant digne d’une mauvaise sitcom, rendant leur entreprise proche de l’escroquerie. Mais ces scènes de bouffonnerie sont plus profondes également qu’elles n’y paraissent. Rapidement, on ne sait plus si on doit rire, s’inquiéter ou s’émouvoir devant ces familles continuant de jouer le jeu face à des comédiens si risibles. Le désir d’illusion est insatiable, et à chaque fois la mascarade doit se poursuivre quoi qu’il advienne, même si chacun fait semblant d’y croire. Et gare à celui qui n’y croit pas aussi fort que les autres, là encore la violence n’est pas loin.

Il manque probablement à Alps un dénouement plus satisfaisant, un point final ou des points de suspension à l’angoisse aussi saisissante que dans Canine. Absurde et mystérieux jusqu’au bout, le film préfère assumer de ne pas éclaircir son mystère. Mais en faisant passer jusqu’au bout l’imagination et le mystère avant la morale ou l’empathie, Lanthimos confirme qu’il se situe en plein héritage des Surréalistes.

par Gregory Coutaut

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