Abus de faiblesse
France, 2013
De Catherine Breillat
Scénario : Catherine Breillat
Avec : Isabelle Huppert, Kool Shen
Sortie : 12/02/2014
Victime d'une hémorragie cérébrale, Maud, cinéaste, se réveille un matin dans un corps à moitié mort qui la laisse hémiplégique, orpheline de son corps et face à une solitude inéluctable. Vilko, voyou en costume chic, arnaqueur de célébrités, passe à la télé lors d'un talk-show nocturne. Il est arrogant et crève l'écran avec superbe. Maud le voit. Elle le veut pour son prochain film. Ils se rencontrent. Il ne la quittera plus. Elle aussi, il l'escroque, lui emprunte des sommes astronomiques qui ne signifient rien pour elle. Il lui prend tout mais lui donne une gaieté, une famille. Ce film raconte l'abus de faiblesse dont Maud est victime. L'abus de faiblesse est une qualification pénale mais c'est aussi une extrême, irrésistible douceur.
L’ARNACOEUR
Est-il possible de voir ce nouveau film de Catherine Breillat sans passer par le prisme people du fait divers ? L’exercice est d’autant plus complexe (et l’amalgame potentiellement plus proche) que l’affaire Breillat/Rocancourt est réapparue dans l’actualité, l’ « arnaqueur de célébrité » venant à la fois de publier ses propres mémoires et d’être condamné, malgré son appel, à rembourser la réalisatrice. Les protagonistes de l’affaire sont effectivement bien là (même un personnage inspiré de Sonia Rolland), mais Abus de faiblesse est écrit avec suffisamment de soin pour parvenir à en faire avant tout de vrais personnages de fiction. « C’est moi et c’est pas moi » dit Maud/Isabelle Huppert/Catherine Breillat en s’adressant presque à la caméra. Le fin mot du film est là : inutile de chercher à savoir ce qui est vraiment arrivé à qui, on est ici dans la fiction. Évacuons ce qui est peut être la lacune principale du film : la mise en scène reste ici majoritairement illustrative, pour ne pas dire presque anonyme. En revanche, Breillat et son scénario sont malins. S’ils confirment qu’il est vain de chercher à comprendre pourquoi et comment cette escroquerie a pu fonctionner, c’est bien cette absence ambigüe d’explication qui rend son récit si intrigant.
Manipulation amoureuse et séductrice ? Transfert familial dans une période de besoin physique et émotionnel ? Le scénario lance plusieurs pistes sans trancher, même quand il feint d’expliquer (face aux avocats, à la famille), et varie les registres de cette relation. Tantôt home invasion mental ou farce grotesque quand Maud couche Vilko dans un improbable mini-lit à la Baby Doll, Abus de faiblesse montre un couple improbable où chacun semble chercher à donner une leçon à l’autre. Mais le plus têtu et sûr de lui parmi ce couple n’est donc pas forcément celui que l’on croit. Surprise l’ambigüité générale ne naît pas tant du personnage de Vilko (qui apparait plutôt comme une brute arrogante), que de Maud, tour à tour maman, princesse à sauver, battante ou revenue de tout. Bien que gravement handicapée et passant son temps sous sa couette, Maud garde la mainmise tout ce(ux) qui l’entoure(nt). Elle maitrise mieux son corps qu’elle ne veut le croire, mais comprend moins ses sentiments qu’elle ne le montre. Et là, le succès tient autant à l’écriture de Breillat qu’à l’interprétation d’Huppert. Charismatique, Kool Shen bénéficie certes d’un rôle hors du commun, mais il l’interprète sans variations. Le rôle d’Isabelle Huppert est forcément moins hors-normes en comparaison, mais grâce à son jeu particulièrement nuancé, elle en fait de loin le plus mystérieux et intéressant des deux. C’est peut-être elle le meilleur atout du film.