À couteaux tirés

À couteaux tirés
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À couteaux tirés
Knives Out
États-Unis, 2019
De Rian Johnson
Scénario : Rian Johnson
Avec : Daniel Craig, Chris Evans, Don Johnson, Jamie Lee Curtis, Michael Shannon
Photo : Steve Yedlin
Musique : Nathan Johnson
Durée : 2h11
Sortie : 27/11/2019
Note FilmDeCulte : *****-
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Célèbre auteur de polars, Harlan Thrombey est retrouvé mort dans sa somptueuse propriété, le soir de ses 85 ans. L’esprit affûté et la mine débonnaire, le détective Benoit Blanc est alors engagé par un commanditaire anonyme afin d’élucider l’affaire. Mais entre la famille d’Harlan qui s'entre-déchire et son personnel qui lui reste dévoué, Blanc plonge dans les méandres d’une enquête mouvementée, mêlant mensonges et fausses pistes, où les rebondissements s'enchaînent à un rythme effréné jusqu'à la toute dernière minute.

MAGATHA CHRISTIE

Même quand un cinéaste s'approprie complètement un gros film de studio, il est toujours intéressant de le voir revenir ensuite au registre qui l'a fait connaître. On fait difficilement plus gros qu'un Star Wars et pourtant Rian Johnson sera le seul cinéaste à la tête de ces nouveaux épisodes qui aura écrit son scénario sans co-auteur et sans clash avec Kathleen Kennedy. Toutefois, il a beau être en train de préparer le futur de la licence avec une nouvelle trilogie, il a pris le temps de pondre un petit film entre les deux et quelle n'est pas notre surprise de constater que non seulement À couteaux tirés pourrait faire office de film-somme mais surtout que son propos n'est finalement pas si éloigné de celui des Derniers Jedi. La clé de cette similitude réside dans le fait qu'il s'agit de deux produits de leur temps et, une fois de plus, la façon dont l'auteur joue avec les règles établies sert son discours. Déconstruisant à nouveau un genre, Johnson renoue avec le mystère à résoudre de Brick et le ton d'Une arnaque presque parfaite, transposant l'univers d'Agatha Christie dans l'Amérique privilégiée pour mieux parler de 2019.

S'attaquant encore une fois à un genre particulièrement codifié, le cinéaste affiche d'emblée l'aspect méta du film de manière presque parodique : Harlan Thrombey, le patriarche retrouvé mort dans la gigantesque demeure familiale, était un écrivain de whodunits et le Cluedo est cité dans le texte. Néanmoins, si l'écriture embrasse certains clichés, elle s'amuse avec les archétypes, faisant par exemple de Benoît Blanc, son détective à la Sherlock Holmes ou Hercule Poirot, un Daniel Craig moins James Bond que coq jovial de la Louisiane, truculent dans le rôle. Contournant même les codes narratifs et formels de ce type d'histoires, Johnson opte presque pour l'expérimental dans la structure et la narration, notamment dans le rythme auquel arrivent les révélations. Devançant ceux qui voudraient se faire plus perspicaces que l'enquêteur, Johnson nous tire le tapis de sous les pieds très tôt et bien qu'il soit évident que toute information est partielle vu le genre du film, le metteur en scène ne cesse de brouiller les pistes en refusant de se plier au langage habituel. Ici, par exemple, les personnages ont beau mentir, la caméra, elle ne ment jamais. C'est l'anti-Rashomon. La vérité est objective. C'est un peu comme si Johnson cherchait à se mettre tous les bâtons possibles dans les roues afin de voir comment il pourrait s'en sortir. Et s'il ne s'en sort pas toujours, notamment dans un deuxième acte qui rebondit un peu trop, le challenge reste réjouissant à regarder.

D'ailleurs, on ne réalise pas tout de suite que le protagoniste de l'intrigue n'est pas Benoît Blanc mais Marta, l'infirmière à domicile campée par une Ana De Armas touchante d'innocence avec un complexe digne de Pinocchio en plus débile. Un choix de point de vue qui informe donc la nature particulière de cette enquête "à l'envers", si l'on peut dire, mais qui n'est, lui, pas innocent. Autour de Benoît Blanc et Marta, il y a les divers membres de la famille Thrombey, dont les interprètes se régalent à les jouer autant que nous à les regarder, qui vont du social justice warrior au nazi pré-pubère en passant par les démocrates hypocrites type "J'aurais voté pour Obama une troisième fois si j'avais pu" et les purs trumpistes. Y a même Captain America. Leur point commun? Ils sont tous persuadés que leur statut (et leur argent) leur revient de droit. Peu importe le coupable, tous ne pensent qu'à l'héritage. Le décorum a beau jouer la carte du classique, très vite Johnson nous rappelle au monde d'aujourd'hui en y juxtaposant des références on ne peut plus modernes : Netflix, Twitter, Instagram. Loin de se réduire à un simple ressort comique, ces décrochages ancrent ce vieux monde dans le notre pour mieux en dépeindre le portrait cinglant et de montrer les mensonges sur lesquels est bâti ce droit au privilège. Tout comme Les Derniers Jedi mettait fin, dans le texte comme le sous-texte, au monopole des lignées, allant à l'encontre des souhaits des fans les plus accrochés à une logique "ça a toujours été comme ça", À couteaux tirés brise les règles narratives pour mieux symboliser la nécessité de briser les règles qui régissent la société depuis trop longtemps, sans jamais perdre de vue le divertissement, ludique jusque dans son dernier plan.

par Robert Hospyan

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