Dernier maquis

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Dernier maquis
France, 2008
De Rabah Ameur-Zaïmeche
Scénario : Rabah Ameur-Zaïmeche, Louise Thermes
Durée : 1h33
Sortie : 22/10/2008
Note FilmDeCulte : *****-
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Au fond d'une zone industrielle à l'agonie, Mao, un patron musulman, possède une entreprise de réparation de palettes et un garage de poids-lourds. Il décide d'ouvrir une mosquée et désigne sans aucune concertation l'imam...

TOUTES LES CAGES ONT DES PORTES

C'est minimiser ou détourner l'attention que dire de Dernier maquis qu'il impressionne. Il y aurait pourtant de quoi : le film est un des rares chocs esthétiques français de l'année, porté par une mise en scène d'une rigueur et d'une évidence désarmantes. Reste que ramené à cette dimension, le film risquerait de ne paraître que muscles bandés fièrement, machine de guerre inarrêtable, réquisitoire imparable parce que formellement étourdissant. Mais ce qui impressionne le plus dans le troisième long métrage de Rabah Ameur-Zaïmeche ne relève pas du seul coup de force visuel ; même pourrait-on dire : bien au contraire. Sa puissance tient en effet aussi en sa grâce, en sa souplesse, en son jeu de jambes pour filer la métaphore du combat. Dernier maquis est une anguille dont on ne voit pas venir les coups et qui évite les bottes grossières. Le film est pourtant sous la menace permanente d'un syndrome similaire à celui enduré par La Question Humaine de Nicolas Klotz : une envie de dire fort, de théoriser précisément, d'appuyer, de symboliser, d'être grenouille plus grosse que bœuf, pour au final se diluer dans une solennité virant à la rigidité froide et vidée d'affect. Dernier maquis est truffé de potentiels chausse-trappes comparables, symboliques et discursifs, et ce n'est pas le moindre mérite de Rabah Ameur-Zaïmeche que de maintenir constant l'équilibre entre rigueur esthétique et verrouillage théorique. Aucun exposé sociologique à craindre ici : le monde du film, malgré ses airs de scène de théâtre tracée à la craie pour démonstration didactique, est un faux vase-clos. Toujours l'on peut s'en échapper, le temps d'un tour de barque par exemple, le drame résidant en ce que toujours, immanquablement, l'on y revient.

Les portes des cages se franchissent dans les deux sens, et c'est justement qu'inéluctablement on y revienne qui imprime son mouvement au film. D'où qu'aucun manichéisme ne contamine l'élégiaque Dernier maquis : système carcéral au sens large, des corps comme des âmes, le capitalisme s'y dévoile dans son ontologique entropie à petit feu - en tant qu'il est système, donc. La différence entre Klotz et Ameur-Zaïmeche se joue ici, en ce que le second ne pourrait prétendre dominer son sujet, puisqu'il n'ignore pas qu'il en est lui-même un agent. Aussi s'y inclut-il sans ménagement, endossant lui-même le rôle périlleux du petit patron (ce qu'en tant que metteur en scène il est de toute façon) prosélyte et fesse-mathieu ; bien que, grossièrement pourrait-on croire, nommé Mao. Je dis pourrait-on croire car le film outrepasse ses marqueurs. Ainsi la puissance symbolique des palettes rouges, qui en permanence accable le cadre, puissance mobile et sans cesse transformée, sans cesse croissante, pourrait épuiser l'image. S'il n'en est rien c'est qu'Ameur-Zaïmeche désamorce en permanence les pièges qu'il s'était tendus, et du même coup son film semble à chaque mouvement se régénérer, partir sur de nouvelles voies, ni tout à fait le même ni tout à fait un autre. C'est ainsi que le rouge théorique se fait organique, et le film tissu d'impulsions, de souffles, d'hommes et de spiritualités, plutôt que cours politique magistral : l'Islam dans l'entreprise n'est pas plus le thème du film que les licenciements sauvages ou le recours à la lutte armée.

par Guillaume Massart

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